Article – Comment distinguer une condition d’une exclusion de garantie ?

Mercredi 02 février 2023

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

La décision du 15 décembre 2022 contribue à éclairer les débats autour de la rédaction des clauses des polices d’assurance.

Aussi étrange que cela puisse paraître, le Code des assurances ne définit pas plus la notion de condition de garantie que celle d’exclusion de garantie. Tout au plus sait-on que l’exclusion de garantie doit figurer en caractères « très apparents » dans la police (L.112-4 du Code des assurances) et qu’elle doit être « formelle et limitée » (article L.113-1 du Code des assurances). Mais à part cela… C’est pourquoi l’arrêt du 15 décembre 2022 ( n°20-22.356) publié au Bulletin, ce qui signe son importance, est sans doute une des principales décisions de l’année passée en termes de pratique, posant une définition claire de la notion de condition de garantie dans les termes suivants (point 6) : « Les clauses litigieuses formulaient des exigences générales et précises à la charge de l’assurée, auxquelles la garantie de l’assureur était subordonnée, de sorte qu’elles constituaient des conditions de garantie, peu important que, à la différence d’une autre clause, la sanction de leur non-respect ne fasse pas l’objet d’une mention expresse. » Avant de dégager les enseignements de cet arrêt, rappelons les faits de l’espèce.

Les faits

La Chambre de commerce et d‘industrie d’Ajaccio (ci-après CCI) va être condamnée par les juridictions administratives à payer diverses sommes à une société Alabama Média, du fait de la résiliation d’un marché de rénovation (lot audiovisuel) du Palais des congrès d’Ajaccio. La société Scaenicom, attributaire du marché, et assurée auprès d’Axa, sera condamnée à garantir la CCI pour la moitié de ces condamnations. Le 5 août 2014, la CCI va attraire Axa en qualité d’assureur de Scaenicom devant les juridictions judiciaires, aux fins de garantie des condamnations prononcées contre elle.

L’assureur opposera alors une non-garantie au regard du fait que sa police contenait des exigences générales (réalisation des prestations sur la base d’un cahier des charges ou d’un plan, soumission des travaux préalablement à la validation du client) qui n’avaient pas été respectées en l’espèce. Malgré cette défense, qui invoquait le périmètre contractuel de la garantie de l’assureur, la Cour de Bastia condamnera Axa le 30 septembre 2020 au motif qu’il ne ressortait pas des stipulations contractuelles qu’il s’agissait de conditions de garantie, ce d’autant plus que faute de sanctions attachées à ces clauses, la garantie restait acquise. C’est ce raisonnement qui sera cassé pour violation de la loi.

Conditions vs exclusions de garantie

Même si l’implicite du raisonnement dans l’arrêt est plutôt d’opposer la condition de garantie à la déchéance de garantie, l’intérêt pratique de l’arrêt est surtout de permettre de faire un point global sur les notions de condition de garantie et d‘exclusion de garantie. En effet, le sujet, s’il est intuitif, est considéré en droit des assurances comme un véritable nœud gordien, faute justement de définitions légales. La distinction entre condition et exclusion a donc été posée tant bien que mal par la doctrine et par la jurisprudence.

Comme l’a analysé la doctrine (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur in « Droit des Assurances » Précis Dalloz 14 édit. 2017 n°473 et suivants), face à une situation permanente du risque, on est plutôt en présence d’une condition de garantie. Et réciproquement, face à une stipulation relative à la réalisation du risque, on est plutôt en présence d’une clause d’exclusion.

La jurisprudence a précisé cette analyse et considère désormais la clause d’exclusion comme la clause par laquelle l’assureur « prive l’assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque » (Civ. 1 du 26 novembre 1996 n°94-16.058). On retrouve cette mention des « circonstances particulières de réalisation du risque » dans de nombreux arrêts récents, l’année 2022 ayant été riche sur cette question (Civ. 2 , 31 mars 2022, n°20-17.662 ; Civ. 3 , 20 avril 2022, n°21-16.297 ; 4 arrêts de Civ. 2 du 1 décembre 2022, n°21-19.343, n°21-15.392, n°21-19.342 et n°21-19.341).

Réciproquement, comment définir une condition de garantie ? La jurisprudence est moins fournie, mais on sait qu’un contrat d’assurance qui subordonne l’acquisition de la garantie à la réalisation d’une étude technique ne constitue pas une exclusion de garantie, puisqu’elle détermine le risque garanti et pose l’existence d’une condition préalable de garantie via la présence de mesures de prévention (Civ. 3 , 22 novembre 2018, n°17-22.112).

C’est justement l’intérêt de l’arrêt du 15 décembre 2022 commenté que de confirmer cette jurisprudence en posant que les « exigences générales et précises à la charge de l’assurée, auxquelles la garantie de l’assureur était subordonnée » constituent bien « des conditions de garantie ». On le voit, les exigences contractuelles doivent être générales, précises et à la charge de l’assuré.

Le fait qu’aucune sanction ne soit attachée à ces clauses est logique, puisqu’on parle du périmètre de la garantie elle-même. On rejoint ici le débat sur ce qu’on appelle – le terme est mal choisi par ailleurs – les « exclusions externes » d’une police (voir le traité « Assurances de dommages » de J. Bigot, J. Kullmann et L. Mayaux, Ed. LGDJ 2017 n°1432) qui ne sont au fond que les frontières implicites d’une garantie d’assurance, le bord externe du périmètre du contrat, auquel cas il est inutile d’expliquer que la garantie ne sera pas due au-delà, ni de prévoir de sanction (ainsi par exemple une créance contractuelle ne saurait être couverte par une assurance de responsabilité qui suppose une créance de réparation et pas d’exécution d’une convention ; dans le même ordre d’idée l’action de groupe de l’article L 623-1 du Code de la consommation suppose une action en responsabilité contre l‘auteur, pas une demande d’exécution d’obligations contractuelles).

C’est donc le même mécanisme qui est mis en œuvre par la Cour de cassation dans notre arrêt, tendant à délimiter le périmètre contractuel. La force de cette décision est de poser clairement un cadre pratique qui sera utile à tous les praticiens. Sera une condition de garantie une clause posant des exigences générales et précises à la charge de l’assuré, tandis que seront des clauses d’exclusion celles jouant en cas de circonstances particulières de réalisation du sinistre.

Un bon indice de la qualification de la clause est donc de savoir si l’exigence contractuelle est en amont du sinistre ou concomitante avec celui-ci. La décision du 15 décembre 2022 par sa clarté est donc à approuver, et contribue à diminuer un contentieux inutile de la rédaction des clauses des polices d’assurance.

Publié le 3 janvier 2023 sur la Tribune de l’assurance