Le suicide et la faute dolosive en assurance

Mardi 9 juin 2020

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

Il arrive que la Cour de cassation, en s‘emparant d’une problématique sociale et en la transformant en débat juridique, ouvre plus de portes qu’elle n’en referme. Le suicide est un drame social et humain. Ses causes sont toujours complexes, et le parcours qui mène au geste fatal jamais simple à appréhender. C’est pourtant à cette tentative de compréhension de l’intime qu’invitent deux arrêts de la Cour de cassation du 20 mai 2020 (n° 19-14.306 et n° 19-11.538).

C’est par le biais du débat sur les rapports entre la faute dolosive de l’article L.113-1 du Code des assurances et le suicide en assurances de dommages – ici de responsabilité – que le débat va survenir.

Dans la premier de ces arrêts (n° 19-11.538), Monsieur X décidera de se suicider dans son appartement en provoquant un violent incendie, conséquence de moyens importants qu’il avait mis en œuvre pour arriver à ses fins, soit l’installation d’une cuisinière à gaz dans son salon outre l’emploi de deux bouteilles de gaz, ce qui entraînera sa mort et la destruction d‘une partie de l’immeuble. L’assureur de la copropriété se retournera alors contre l’assureur du suicidé qui refusera sa garantie. La Cour de cassation va poser que, même si l’incendie « n’avait pas pour motivation principale la destruction de matériels ou de tout ou partie de l’immeuble », l’importance des moyens employés « dépassait très largement ce qui était nécessaire pour uniquement se suicider » confirmant ainsi la décision de la cour d’appel de Grenoble du 5 décembre 2018.

Dans le second arrêt (n° 19-14.306), une personne se suicidera en se jetant sous un train, ce qui amènera la SNCF à agir contre l’assureur de la responsabilité civile du suicidé. L’assureur RC du suicidé opposera également l’article L.113-1 du Code des assurances, et sa faute dolosive à la SNCF, mais sera condamné par la cour d’appel de Versailles. La Cour de cassation indiquera que si l’intention suicidaire était acquise, « rien ne permettait de conclure qu’il avait conscience des conséquences dommageables de son acte pour la SNCF » ce dont il s’induisait que « l’assurance n’avait pas perdu tout caractère aléatoire » excluant dès lors le jeu de la faute dolosive.

Un même acte, deux qualifications distinctes, comment expliquer cette divergence ? Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces deux arrêts.

Les leçons des deux arrêts

Le plus important, de façon paradoxale au vu de sa discrétion, est celui qui affirme l’autonomie de la faute dolosive par rapport à la faute intentionnelle de l’article L.113-1 du Code des assurances.

Véritable serpent de mer juridique, cette question de l’autonomie de la faute intentionnelle et de la faute dolosive est posée de façon insistante par la doctrine depuis l’arrêt du 28 février 2013 (n° 12-12.813) et du 12 septembre 2013 (n° 12-24.650), la Cour de cassation invitant ainsi à faire une distinction entre la faute intentionnelle et la faute dolosive qui, selon la formule de C. Charbonneau  (in l’Essentiel de l’assurance, janvier 2018, page 4, en suite de l’arrêt du 30 novembre 2017 n° 16-22.668) s’organise autour de l’idée que la faute dolosive n’est pas « la volonté de commettre le dommage tel que survenu » (ce qui est le propre de la faute intentionnelle), « mais comme la conscience de ce que la faute conduira au dommage ». La façon dont la deuxième chambre civile de la Cour de cassation tranche le débat, comme une évidence rappelée en passant, étonne toutefois (« la faute intentionnelle et la faute dolosive….sont autonomes », arrêt n° 19-11.538).

Mais, et c’est le deuxième enseignement de cette double jurisprudence, il ne faut pas déduire que tout suicide, avec des conséquences matérielles importantes, sera nécessairement exclu de la garantie de l’assureur.

Ce à quoi invite la Cour de cassation, c’est à un examen poussé de la volonté du défunt par le juge, à une recherche de la révélation de l’intime, permettant de savoir si le suicidé avait voulu uniquement mettre fin à sa vie ou s’il avait conscience des nécessaires conséquences dommageables de son geste.

Car si on regarde les circonstances des deux espèces, le suicide garanti au profit de la SNCF n’a t-il pas été moins « coûteux » en termes de dommages matériels ou immatériels pour la SNCF (arrêt n° 19-14.306) que le suicide par explosion ne l’a été pour la copropriété, suicide qui lui a entraîné le jeu de l’exclusion légale (arrêt n° 19-11.538) ? L’importance économique des conséquences ne peut donc être en soi une preuve de la faute dolosive, juste au plus un indice de celle-ci.

Insécurité juridique

C’est donc à une insécurité juridique réelle qu’invitent ces deux arrêts, puisqu’ainsi que le pose la Cour de cassation ce sont les juges du fond, disposant d’un pouvoir souverain d’appréciation, qui seront dans chaque hypothèse chargés de sonder l’esprit du suicidaire, de reconstituer le cheminement menant vers le suicide, afin de savoir si tel geste ou telle attitude, ou tel préparatif signerait la compréhension de ce que des conséquences dommageables surviendraient nécessairement au détriment de tiers. On peut regretter une telle casuistique, qui ne fera que renforcer le nombre de contentieux. Toutefois, ces deux arrêts ouvrent un nouveau front, auquel n’a sans doute pas pensé la Cour de cassation, soit l’usage de l’exclusion de la faute dolosive en assurance de personnes.

Quid de l’exclusion de la faute dolosive en assurance de personnes ?

On rappellera que l’article L.132-7 du Code des assurances, applicable aux assurances de personnes, pose que :

« L’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne volontairement la mort au cours de la première année du contrat. L’assurance en cas de décès doit couvrir le risque de suicide à compter de la deuxième année du contrat. En cas d’augmentation des garanties en cours de contrat, le risque de suicide, pour les garanties supplémentaires, est couvert à compter de la deuxième année qui suit cette augmentation. Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables aux contrats mentionnés à l’article L.141-1 souscrits par les organismes mentionnés au dernier alinéa de l’article L.141-6. L’assurance en cas de décès doit couvrir dès la souscription, dans la limite d’un plafond qui sera défini par décret, les contrats mentionnés à l’article L.141-1 souscrits par les organismes mentionnés à la dernière phrase du dernier alinéa de l’article L.141-6, pour garantir le remboursement d’un prêt contracté pour financer l’acquisition du logement principal de l’assuré. »

Si l’on met de côté l’exception prévue au titre de certains contrats collectifs – dont expressément les contrats groupe emprunteurs – le principe posé est clair. En deçà d’une année pas de prise en charge du suicide, mais au-delà oui.

Les décisions du 20 mai 2020 ne viennent-elles pas de rajouter une donnée à l’équation ? En effet, l’article L.113-1 du Code des assurances est inscrit au titre I « règles communes aux assurances de dommages et de personnes » du livre I du Code des assurances, qui traite du contrat. Et si le titre II traite des assurances de dommages, le titre III, où est inscrit l’article L.132-7 du Code des assurances, concerne les « règles relatives aux assurances de personnes et aux opérations de capitalisation ».

Si l’on pousse le raisonnement de la Juridiction suprême, ce qui vaut pour l’assurance de responsabilité aujourd’hui vaudra demain pour les assurances de personnes, ce qui autorisera les assureurs vie et prévoyance à pouvoir opposer, au-delà de la première année de validité de la police, la faute dolosive de l’assuré si elle apparaissait qualifiée par les circonstances du litige. La Cour de cassation ne vient-elle pas d’ouvrir, à son insu, un nouveau front du contentieux autrement plus important qu’en assurance de dommages ?