Mardi 18 août 2020
Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur
L’assureur doit honorer sa garantie en cas de sinistre couvert par le contrat d’assurance. A défaut, il s’expose au risque de voir sa résistance qualifiée d’abusive par les juridictions du fond. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 25 juin 2020.
Certaines règles paraissent si évidentes qu’elles suscitent peu de jurisprudence, rattachées qu’elles sont au simple bon sens cher au doyen Carbonnier. L’arrêt de la deuxième chambre civile du 25 juin 2020 (n° 19-12023) montre pourtant que, parfois, il faut savoir revenir aux fondamentaux du droit des assurances, ici via la théorie de l’abus de droit, et rappeler une règle simple : une garantie qui est due par un assureur doit être mise en œuvre sans délai ni détour, sous peine de sanction.
Non pas que le Code des assurances ignore ce principe, puisqu’il est exprimé en toutes lettres par l’article L.113-5 du Code des assurances qui dispose que « lors de la réalisation du risque ou à l’échéance du contrat, l’assureur doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat et ne peut être tenu au-delà ».
Et le droit commun de préciser que si l’assureur manque à cette obligation, il s’exposera à des intérêts moratoires (article 1231-6 alinéa 1er du Code civil), voire à des dommages et intérêts s’il a causé un « préjudice indépendant » à son assuré (article 1231-6 alinéa 3 du Code civil).
Mais, force de l’habitude, oubli des règles de base et des articles du Code des assurances, c’est l’ACPR qui est actuellement la plus fervente utilisatrice de cet article, l’ayant invoqué à pas moins de deux reprises pour fonder des sanctions le 25 novembre 2019 contre un assureur intervenant en LPS (décision 2019-01), notamment pour ne pas avoir mis en place de façon temporaire un service de gestion de sinistres, assureur qui se voyait dès lors interdire la distribution de polices, et le 11 mars 2020 (décision n° 2019-03 – voir le commentaire de M. Asselain in LEDA mai 2020 page 6), où l’assureur vie n’avait pas appliqué les bons paramètres techniques et prélevé des frais non prévus entraînant une sanction pécuniaire de 10 M€.
Si l’on reprend la jurisprudence récente en matière de résistance abusive de l’assureur, on notera qu’elle est curieusement concentrée sur le domaine de la cession de créance par l’assuré à un tiers, au sens de l’article 1690 du Code civil. Sera ainsi considéré comme de la résistance abusive de l’assureur, aux termes d’un arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 2015 (Civ. 1re, n° 14-26294), le fait pour un assureur de recevoir une signification de cession de créance par acte d’huissier, doublée d’une lettre de l’assuré cédant confirmant la cession avec néanmoins paiement intégral à l’assuré.
Toujours en matière de cession de créance d’indemnité d’assurance, un arrêt de la Cour de cassation du 16 novembre 2016 (Civ. 1re, n° 15-25243) retiendra l’opposabilité de la cession, dans des circonstances équivalentes, sans toutefois aller jusqu’à qualifier la manœuvre d’abusive. C’est pourquoi l’arrêt du 25 juin 2020, même s’il n’est pas publié, est utile pour rappeler à partir de quel moment un assureur doit, abstraction faite de sa volonté, honorer sa garantie, et à défaut assumer de voir sa résistance qualifiée d’abusive par les juridictions du fond.
En l’espèce, une SCI Fransyd, assurée auprès de la Macif contre les risques incendie et perte de loyers, et propriétaire d’un bien immobilier va souscrire un bail mixte avec un particulier exerçant la profession de buraliste et habitant le dit bien (à noter que ce buraliste subira une procédure de liquidation judiciaire suivant jugement du 14 juin 2011).
Les faits
Le buraliste va dès lors souscrire auprès de la Mutuelle confédérale d’assurances des débitants de tabac de France (Mutedaf) plusieurs assurances multirisques aussi bien à titre professionnel que personnel. Surviendra un violent incendie le 17 avril 2011 dans les locaux du buraliste ce qui l’amènera à déclarer son sinistre le 18 avril 2011 à son assureur la Mutedaf, qui désignera un expert pour rechercher les causes de l’incendie.
Après s’être entouré de l’avis technique d’un laboratoire, l’expert de la compagnie conclura que la seule hypothèse possible était celle d’un incendie volontaire, et refusera toute indemnisation à son assuré. S’ensuivra une expertise judiciaire, dont le rapport final sera déposé le 9 décembre 2013, qui conclura, à l’inverse de l’expert de la Mutedaf, que la cause de l’incendie était accidentelle. Cette opposition radicale sur la solution technique du sinistre paraît d’ailleurs être à l’origine du litige et de sa durée.
De son côté, la Macif, après avoir payé à son propre assuré, la SCI Fransyd, diverses sommes au titre de la destruction de son fonds de commerce, exercera son recours subrogatoire contre la Mutedaf début 2013, bientôt rejointe par le buraliste désormais sous liquidation judiciaire.
La cour d’Appel de Pau, en dernier lieu, condamnera sévèrement la Mutedaf pour son « refus persistant » de mettre en œuvre ses garanties d’assurance et à prendre en charge non seulement les préjudices de son assuré buraliste, mais encore ceux de la Macif subrogée dans les droits de la SCI Fransyd, pour un total de plus de 60 000 €…
Pourvoi sera formé et la position de la Mutedaf exprimée selon la formule classique suivant laquelle « l’exercice du droit de se défendre ne peut engager la responsabilité de son auteur qu’en présence d’une faute de nature à faire dégénérer ce droit en abus », et que la seule contestation des conclusions de l’expert judiciaire par l’assureur ne qualifiait pas cet abus.
On notera que cette formule est classique, ainsi que le démontre un arrêt de la Cour de cassation du 17 janvier 2019 (Civ. 2e, n° 17-27408) où un particulier avait été condamné à des dommages et intérêts pour avoir initié une action disciplinaire sans parvenir à l’étayer avec des « documents sérieux », caractérisant ainsi la légèreté blâmable caractéristique de l’abus de droit.
Dans cet arrêt commenté, la Cour de cassation retiendra, sous le couvert de l’appréciation souveraine des juges du fond, que la garantie de l’incendie était caractérisée par le « refus persistant de mettre en œuvre » la garantie d’assurance, et ce « depuis le 9 décembre 2013 date du dépôt du rapport d’expertise définitif », soit depuis plus de cinq années.
La Cour de cassation va préciser « qu’à la lecture du rapport d’expertise, il n’existait plus aucun doute raisonnable qui autorisait l’assureur à différer encore le respect de ses obligations contractuelles » et que c’est à tort que la Mutedaf a maintenu sa position « alors même qu’elle n’était pas en mesure de prouver que son assuré avait commis une faute ».
Dès lors, ce refus d’honorer sa garantie, outre la « volonté réitérée » de poursuivre l’instance judiciaire qui, au moins sur le principe de la garantie due à son assuré était manifestement vouée à l’échec, devait être considéré comme fautif.
Droit probatoire
Sauf à présumer d’une vendetta personnelle de l’assureur contre son assuré, ce qui n’a guère de sens, l’expérience de ce type de contentieux permet de comprendre pourquoi on est arrivé à une telle situation de blocage.
Le droit tel qu’on le pratique, ou en tout cas tel que les juges le pratiquent, est avant tout une question de preuve, au point qu’on parle de droit probatoire. En l’occurrence, l’assureur, la Mutedaf, a manifestement acquis la conviction par son expertise privée de 2011 que l’incendie était volontaire et que l’auteur de cet incendie était son propre assuré, certitude dont à aucun moment elle ne déviera.
Pourtant, dès lors que l’expertise judiciaire, et le rapport final du 9 décembre 2013, concluait à l’absence de preuve d’un incendie volontaire, et sauf à déposer une plainte pénale pour mobiliser d’autres moyens, la messe était dite.
Les magistrats, quand ils désignent un expert judiciaire, visent à être éclairés sur l’aspect technique d’un dossier qu’ils ne maîtrisent pas. Sauf à démontrer une grave erreur de l’expert, et à demander une contre-expertise, le rapport a de bonnes chances d’être entériné, au moins pour partie.
Et, accessoirement, le mouvement global actuel de la jurisprudence est en faveur du renforcement de la valeur juridique de l’expertise judiciaire, comme vient de le rappeler l’arrêt du 12 décembre 2019 (Civ. 2e, n° 18-12687) en assurance justement, où il a été interdit au juge de se fonder uniquement sur un rapport d’expertise fourni par l’assureur, et donc de façon non contradictoire.
La Mutedaf n’avait donc quasiment aucune chance de faire prospérer son dossier en cassation, car si même si elle croyait sincèrement en la faute de son assuré et sa responsabilité dans l’incendie de 2011, elle ne disposait d’aucune preuve sérieuse permettant de contrecarrer les conclusions du rapport d’expertise judiciaire.
Le message de la juridiction suprême aux assureurs est simple : dans ce type d’hypothèses, ne poursuivez pas inutilement un procès perdant, sauf à en assumer les conséquences matérielles. Une nouvelle illustration de la différence entre vérité et vérité judiciaire.