Mardi 1er septembre 2020
Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur
Pour un assureur, rédiger une clause d’exclusion valable reste toujours un exercice délicat, ainsi que vient de le rappeler l’arrêt de la Cour de cassation du 16 juillet 2020 (Civ. 2e, n° 19-15.676), décision qui au visa de l’article L.113-1 du Code des assurances dispose « qu’une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée ».
Cet arrêt, qui confirme une jurisprudence d’une vingtaine d’années (Civ. 1re du 22 mai 2001, n° 99-10.849, posant exactement la même règle selon laquelle « une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée ») permet de faire un point – temporaire certainement – sur ce qui rend une clause d’exclusion efficace ou non.
Les faits de l’espèce sont particulièrement succincts puisqu’il s’agissait du propriétaire d’un véhicule assuré auprès d’Avanssur, victime en 2015 d’un accident de la circulation. A la suite de cet accident, l’assureur opposera à l’assuré une clause d’exclusion au titre des préjudices subis dés lors que l’assuré avait au moment de l’accident « fait l’usage de substances ou plantes classées comme stupéfiantes ».
Retenant que cette preuve était rapportée par « la prise régulière » de produits stupéfiants, la cour d’appel refusera la garantie mais verra son arrêt cassé au motif qu’elle avait justement, en renvoyant à cette « prise régulière » par l’assuré de stupéfiants, nécessairement « procédé à l’interprétation d’une clause d’exclusion ambiguë », ce qui rendait la clause d’exclusion dès lors non formelle et non limitée.
Comment rédiger alors une clause d’exclusion qui soit efficace ? Petit état des règles qui fondent la validité des clauses d’exclusion.
Une simplicité apparente du texte légal
Car de fait si le texte même de l’article L.113-1 du Code des assurances paraît clair en énonçant que « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police », cette simplicité apparente est en soi trompeuse.
On n’évoquera pas ici la condition de validité formelle de la clause d’exclusion prévue à l’article L.112-4 du Code des assurances postulant que cette clause soit rédigée « en caractères très apparents », texte qui ne donne d’ailleurs plus lieu aujourd’hui qu’à peu de contentieux, mais nous nous attacherons aux conditions de validité de fond qui permettent à l’assureur de se prévaloir de la clause d’exclusion.
De fait, la première difficulté qu’affronte le praticien en matière de clause d’exclusion, c’est qu’elle n’obéit pas à une définition légale, pas plus d’ailleurs que la clause organisant le domaine de la garantie de l’assureur.
On voit bien pourtant intuitivement ce que ces deux clauses – délimitation et exclusion – ont en commun ; elles organisent le domaine contractuel de l’assurance et correspondent en fait à deux représentations d’une même situation.
Pratiquement, soit on regarde à l’intérieur de la barrière qui délimite le champ contractuel, soit on regarde au-delà de cette barrière, mais de fait on en revient à la même chose : qu’est-ce qui est garanti ou pas par la police ?
Charge et risque de la preuve de l’exclusion
L’enjeu de la qualification n’est pas neutre, puisque on rappellera qu’en matière de clause d’exclusion c’est l’assureur qui assume la charge et le risque de la preuve du jeu de l’exclusion (Civ. 2e, 2 juillet 2015, n° 14-15517).
Et réciproquement, quand on est en présence d’une condition de garantie, soit une clause définissant le périmètre du risque assuré dès l’origine de la police, les règles « édictées par l’article L.112-4 du Code des assurances relatif aux clauses d’exclusion ne sont donc pas applicables » (Civ. 1re du 11 décembre 1990, n° 88-14079), puisqu’il incombe classiquement (Civ. 1re, 13 novembre 1996 n° 94-10031) à celui qui réclame l’indemnisation dans le cadre d’une police d’établir que les conditions de la garantie ont bien été qualifiées.
Une décision récente permet de comprendre l’opportunité du débat. Un assureur, dans un arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 2018, avait ainsi réussi à démontrer la validité de la clause d’exclusion mais oublié de prouver que les conditions permettant de mettre en jeu l’exclusion avaient été remplies (Civ. 2e, n° 17-21.708 – il s’agissait de démontrer que les médicaments pris par un assuré décédé n’étaient pas autorisés par son médecin traitant), ce qui entraînera la cassation de l’arrêt défavorable à l’assuré pour violation de la loi.
Définir l’exclusion
Mais comment définir alors le principe même qui qualifie l’existence d’une clause d’exclusion au sein d’un contrat d’assurance ? La jurisprudence considère la clause d’exclusion comme la clause par laquelle l’assureur « prive l’assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque » (Civ. 1re du 26 novembre 1996, n° 94-16058).
On évoquera rapidement ici un débat théorique en droit des assurances opposant les tenants d’une approche classique et d’une approche plus moderne de la qualification de la clause d’exclusion.
Ainsi, classiquement, il a été proposé de considérer qu’une exigence qui serait relative à « une situation permanente afférente au risque » relèverait de la condition de garantie, tandis que les stipulations de nature à priver l’assuré de la garantie, au regard des « circonstances particulières de réalisation du risque », se retrouveraient dans la seconde catégorie condition d’exclusion (voir en ce sens Lambert Faivre Y. et Leveneur L., Droit des assurances – Précis Dalloz, 14e éd., 2017, n° 476).
Une autre approche, chronologique cette fois, a été proposée par le professeur S. Abravanel-Jolly (in Dalloz 2012, p. 962 « nécessité du maintien de la distinction entre exclusion et condition de la garantie ») qui relève que condition et exclusion de garantie ne s’activent pas au même instant, car ces clauses obéissent à des modalités distinctes. L’idée est de soutenir que « la condition affecte l’obligation de couverture alors que l’exclusion affecte l’obligation de règlement ». Comme souvent en assurance, tout est question de mise en perspective…
Définir la clause « formelle et limitée »
Mettons que le débat sur la qualification de clause d’exclusion ou de délimitation de la garantie soit clos, la problématique juridique n’en est pas pour autant réglée.
Si l’on met – pour ne pas alourdir le commentaire – de côté le débat portant sur le fait que la clause d’exclusion ne doit pas aboutir à vider le contrat d’assurance de sa substance (voir Civ. 3e du 7 novembre 2019, n° 18-22033), qu’est-ce qu’au fond une clause « formelle et limitée » ?
La doctrine l’a définie souvent comme une clause « claire et précise » (M. Asselain in RGDA 2018 p.315), et le Cour de cassation comme la clause qui « permet à l’assuré de connaitre exactement l’étendue de la garantie » (Civ. 2e, 2 avril 2009, n° 08-12587).
L’idée est que, « prima facie », un assuré non spécialiste de l’assurance puisse comprendre ce qui, en cas de sinistre, sera couvert ou non. C’est donc à un éloge de la simplicité qu’invite la Cour de cassation.
Cohérence jurisprudentielle
L’arrêt du 16 juillet 2020 n’est donc pas en soi révolutionnaire, mais confirme ce qui doit parfois être rappelé. Une clause d’exclusion doit être formelle et limitée, c’est-à-dire avant tout claire et précise pour l’assuré, qui doit intuitivement comprendre ce que son contrat lui offre.
La mission des rédacteurs de police n’est d’ailleurs pas si impossible à remplir que cela au regard de ce que de nombreuses jurisprudences récentes retiennent (Civ. 3e, 14 février 2019, n° 18-11.101 pour une exclusion du coût de réfection des travaux et de remise en état ou du remplacement des produits livrés ; Civ. 3e, 7 novembre 2019 n° 18-22.033 pour l’exclusion des dommages matériels subis par les travaux, ouvrages ou parties d’ouvrages exécutés par l’assuré ; Civ. 2e, 6 février 2020, n° 18-25.377 pour l’exclusion des pertes indirectes).
En fait, tout est question de réflexion et de capacité pour le rédacteur de la police à se mettre à la place de l’assuré afin que celui-ci puisse comprendre d’instinct ce que sa police couvrira ou non. Ni plus, ni moins.
Cass. civ. 2, 16 juillet 2020, n° 19-15.676