Article – L’indemnisation d’un bien se fait à la date du sinistre, pas à celle du jour ou le juge statue

Mercredi 3 janvier 2023

Le paradoxe d’un principe fondateur du droit des assurances – ici le principe indemnitaire de l’article L.121-1 du Code des assurances – est que s’il est intuitivement connu et pratiqué par les praticiens, il persiste à recéler des zones d’ombre que la Cour de cassation vient heureusement éclairer de temps à autre. Tel est le cas de l’arrêt de la deuxième chambre civile du 8 juillet 2021 (n° 20-10.575), publié au et qui pose que « l’indemnité doit être fixée en fonction de la valeur assurée au jour du sinistre », mais non pas « au jour de (la) décision »

Avant de comprendre le fondement de ce choix, rappelons le texte même de l’article L 121-1 du Code des assurances qui dispose que :

« L’assurance relative aux biens est un contrat d’indemnité ; l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut pas dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre.

Il peut être stipulé que l’assuré reste obligatoirement son propre assureur pour une somme, ou une quotité déterminée, ou qu’il supporte une déduction fixée d’avance sur l’indemnité du sinistre. »

Si l’on met de côté la validation légale de la franchise en assurances de dommages, évoquée à l’alinéa 2 de l’article L 121-1 du Code des Assurances, l’alinéa 1er de cet article exprime intégralement le principe indemnitaire, qui qualifie ce qu’on appelle la « summa divisio » entre assurances de dommages et assurances de personnes.

En effet, les assurances de personnes obéissent elles au principe forfaitaire, suivant une règle opposée de l’article L 131-1 du Code des Assurances qui indique que, en matière d’assurances de personnes, « les sommes assurées sont fixées par le contrat », ce qui permet par exemple de cumuler les montants de plusieurs assurances sur la vie ou en cas de vie (sur les différences entre les assurances de dommages et les assurances de personnes, voir « Droit des Assurances » de B. BEIGNIER et S. BEN HADJ YAHIA ed. Lextenso novembre 2018, n°555 et suivants).

S’agissant du principe indemnitaire, propre aux assurances de dommages, il peut s’exprimer de façon simple : « l’assuré ne doit, du fait de l’assurance, ne connaitre aucune perte, ni ne jouir d’aucun bénéfice » (B. BEIGNIER et S. BEN HADJ YAHIA op. cité), ce qui rejoint l’adage classique « tout le préjudice, rien que le préjudice ».

C’est donc en toute logique indemnitaire que le remboursement à l’assuré d’un véhicule supportant la TVA doit inclure naturellement cette taxe, faute de quoi l’assuré s’appauvrirait, en infraction même au principe indemnitaire (Civ. 1ere du 4 avril 1995, Bull Civ. I n°213).

Oui, mais quand la chose assurée à une valeur susceptible de varier selon un cours, à quelle date se placer ?

Le jour du sinistre ?

En se référant à un accord des parties sur la valeur du bien sinistré ?

Mais si cet accord n’est pas trouvé, l’évaluation doit-elle se faire le jour du jugement au fond ?

Le principe avait déjà été posé par un arrêt de la deuxième chambre Civile du 11 septembre 2008 (n°07-15171) qui avait, dans un arrêt également publié au Bulletin posé, au visa express de l’article L 121-1 du Code des Assurances que « la valeur du bien à prendre en compte pour fixer l’indemnité due par l’assureur à l’assuré est celle de ce bien au moment du sinistre ».

Il faut croire que la solution n’était pas suffisamment connue des juridictions du fond, comme le démontre l’espèce commentée du 8 juillet 2021.

Ici la question concernait un vol, subi par deux propriétaires d’une maison individuelle, assurés auprès de AXA.

A la suite d’un vol dont on sait peu de choses, ces assurés se sont vu dérober une somme d’argent, des tapis et des pièces d’or achetées en Turquie.

L’assureur refusant de garantir le vol de l’or, les assurés initieront une procédure judiciaire, sachant que sur l’évaluation des pièces d’or, les assurés revendiquaient la somme de 46.466 €, tandis que l’expert de l’assureur les évaluaient à la somme de 42.501 €, toutes évaluations faites à la date du sinistre.

La cour d’Appel de Lyon, le 26 septembre 2019, accordera le principe de la garantie aux assurés, mais sur l’évaluation de pièces d’or calculera la contre-valeur en euro des pièces d’or en se fondant sur la valeur de la conversion euro/livre turque « au jour de la décision », ce qui aboutissait pour les assurés à ne percevoir la somme de 14.832,11 € soit 3 fois moins que ce reconnaissait l’assureur lui-même…

Le pourvoi était inévitable, et la Cour de Cassation a donc repris le principe de l’arrêt du 11 septembre 2008, en posant que « l’indemnité (doit) être fixée en fonction de la valeur assurée au jour du sinistre ».

Cassation pour violation de l’article L 121-1 du Code des Assurances et renvoi à la même Cour d’Appel de Lyon autrement composée, dont on voit mal sur quel fondement elle résisterait à ce strict rappel des règles du principe indemnitaire.

Mais le pourquoi de cette décision n’est pas explicité pour autant.

De fait, la Cour de Cassation rappelle ici simplement un principe de bonne foi, que le choix de l’évaluation du sinistre à la date de celui-ci permet de caractériser.

En effet, autoriser à évaluer un vol d’or à la date de la décision de justice, c’est offrir à l’assuré la possibilité de retenir – ou de se précipiter – vers son juge selon que l’évolution du cours de l’or est favorable ou pas.

C’est donc aller à l’encontre d’un des fondements de l’assurance, qui est de reconnaitre au contrat son caractère de contrat « d’extrême bonne foi ».

Principe fort donc, mais qui comporte des subtilités dans des hypothèses ou l’on évoque des biens susceptibles d’avoir des variations de cours, potentiellement importantes, comme avec l’or.

La décision n’est donc pas un simple rappel d’une règle intangible, mais plutôt un guide pour les assurés qui souhaiteraient être indemnisés de leurs sinistres, quand ceux-ci frappent des biens au cours volatile.

On pense au Marché de l’Art, avec des cotes de tableaux ou de statues qui peuvent varier de façon démesurées en quelques mois.

Plus proche des nouvelles technologies, la solution dégagée pourrait s’appliquer par exemple en cas de vol de Bitcoins – reste à trouver la police qui couvrirait ce vol – ou le cours peut varier de 30 à 40 % en une journée, parfois sur la foi de quelques rumeurs de place.

Il n’en reste pas moins que, au détour du rappel d’un des textes fondateurs du Code des Assurances, la Cour de Cassation invite à la loyauté contractuelle, et à la bonne foi.

Cela justifiait bien une publication au Bulletin.

Publié le 24 août 2021 sur la Tribune de l’assurance