Article – Assurance fraude et acte de malveillance : une appréciation souveraine malvenue

PAR STÉPHANE CHOISEZ, AVOCAT ASSOCIÉ

La Cour de cassation a rendu une décision qui va à l’encontre de l’efficacité pratique de cette catégorie de garanties, au prix d’un renvoi ambigu à l’appréciation souveraine des juges du fond quant au contenu du contrat d’assurance.

La jurisprudence rendue en matière d’assurance de fraude et d’acte de malveillance est suffisamment rare pour être scrutée dans les détails, et ce même pour une décision non publiée au Bulletin comme l’est l’arrêt du 23 mai 2019 de la 2e chambre civile de la Cour de cassation (n° 18-12-322).

Malheureusement, en rejetant le pourvoi de l’assuré et en validant la position de la cour d’appel de Paris du 28 novembre 2017, qui a posé que les sinistres fraudes postérieurs à la déclaration de sinistre de l’assuré ne sont pas, au texte de cette police, couvertes par l’assureur, la Cour de cassation rend une décision qui va à l’encontre de l’efficacité pratique de cette catégorie de garanties, au prix d’un renvoi ambigu à l’appréciation souveraine des juges du fond quant au contenu du contrat d’assurance.

Les circonstances sont pourtant classiques puisqu’une société française, intervenant à l’international, a souscrit auprès d’un assureur français, pour son compte mais également pour celui de sa filiale brésilienne, un contrat « tous risques fraude » garantissant les pertes financières résultant d’une fraude ou d’un acte de malveillance dans la limite de 10 M€ par sinistre.
Parmi les différentes activités de la filiale brésilienne, celle-ci est en charge des activités de conception et de gestion de cartes de service rechargeables délivrées au Brésil, conformément à un programme national « d’alimentation des travailleurs » autorisant l’utilisation de ces cartes pour acheter des produits alimentaires dans les magasins affiliés.

Dès lors que des anomalies apparaissent sur les cartes de service rechargeables, celles-ci sont comptabilisées comme des « transactions non reconnues » ou TNR.

Fraude massive

Dans le courant de l’année 2011, la société française constatant une très forte progression du nombre de TNR suspectera une fraude massive, et déclarera son sinistre auprès de son assureur le 9 septembre 2011, tout en déposant une plainte pénale.

Il faut savoir, en pratique, qu’avec ce type d’assurance fraude et malveillance, si la société victime d’une fraude est le plus souvent consciente de l’existence de celle-ci, elle n’en connaît ni les ressorts, ni les complicités, ni n’est capable d’anticiper la totalité du préjudice qu’elle sera amenée à subir.

L’expérience montre que comprendre un système frauduleux d’ampleur prend souvent près de deux années, afin d’en maîtriser les arcanes et de permettre à la société de connaître son réel préjudice.
En l’espèce, l’enquête de police menée par les autorités brésiliennes révélera des complicités, et permettra notamment de saisir différents matériels de clonage et des fichiers électroniques générant des numéros de cartes potentiellement valides sur la base de cartes qui, elles, avaient préalablement été valablement établies.

La maison mère, on imagine après avoir tenté d’obtenir un paiement amiable du sinistre, assignera son assureur qui n’acceptera de régler que les sommes comprises entre le mois de mars 2011 et le 9 septembre 2011, date de la déclaration de sinistre.

Estimant que le montant global du sinistre fraude dépassait le plafond de garantie de 10 M€, c’est pour cette somme que la maison mère assignera son assureur, la filiale brésilienne intervenant volontairement à la cause.

Condamnation

L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 novembre 2017 condamnera l’assureur à payer à la maison mère, mais également sa filiale brésilienne, la seule somme de 1 084 936 € en principal, correspondant au montant des fraudes telles qu’existant depuis le début de l’année 2011 jusqu’à la déclaration de sinistre du 9 septembre 2011.

La cour d’appel validera ainsi la défense de l’assureur mettant en avant le fait qu’elle ne pouvait indemniser les pertes subies après la découverte de la fraude et la déclaration de sinistre.

Pour ce faire, l’assureur s’appuyait sur une clause des conditions particulières de la police intitulée « conventions » précisant que « sont couvertes les pertes financières consécutives à une fraude et/ou un acte de malveillance découverts et portés à la connaissance de l’assureur pendant la période d’assurance du contrat pendant les délais suivants en cas de sinistre continu seront prises en considération les pertes financières subies par l’assuré sur une durée de trente-six mois précédant la découverte de la fraude, pour autant que la survenance de la première fraude ait lieu dans les cinq ans de sa découverte ».

Il est nécessaire de rappeler que, dans les polices fraude, ce type de clause a vocation à régler le passé et encadrer de façon temporelle ce qui peut faire l’objet d’une indemnisation de la part de l’assureur, selon que l’on est en présence d’une fraude isolée ou d’un sinistre continu, ce qui était manifestement le cas en l’espèce, puisque le préjudice final correspondait à l’agrégation des fraudes liées à l’usage des cartes piratées.
Pour autant, cette clause n’a pas vocation à régler le futur.

C’est d’ailleurs pour partie l’angle d’attaque juridique qu’avait utilisé l’assuré pour se retourner contre son assureur, au motif qu’une telle clause interprétée comme interdisant la prise en charge des sinistres et des pertes financières postérieures à la déclaration de sinistre, soit en l’occurrence le 9 septembre 2011, était contradictoire avec plusieurs clauses du contrat.

L’assuré mettait en avant la clause inscrite à la garantie « objet de la garantie » stipulant que pouvaient être garantis sans exclusive tous les préjudices liés à la « fraude par les préposés de l’assuré ou par les tiers sans complicité avec les préposés de l’assuré », tandis qu’une autre clause des conditions générales obligeait l’assuré à prendre « immédiatement les mesures nécessaires pour en limiter l’importance (du sinistre), sauvegarder les biens assurés, réduire au minimum l’arrêt total ou partiel des activités ».

L’argument de l’assuré était au fond logique, puisqu’on ne peut à la fois interpréter la clause « conventions » comme ne traitant que du passé, antérieur à la déclaration de sinistre, et exclure les demandes postérieures à celle-ci, puis demander à l’assuré de prendre toutes les mesures pour limiter un sinistre qu’il vient de déclarer, si celui-ci n’a de toute façon aucune vocation à être garanti sur le plan contractuel.

Clause d’exclusion implicite

D’autres moyens ont été développés, dont un traitant du fait que la clause « conventions » telle que lue par la cour d’appel de Paris aboutissait à mettre en place une clause d’exclusion implicite, non formelle et limitée au sens de l’article L.113-1 du Code des assurances.

Dénaturation des clauses du contrat, absence d’effet utile du contrat, interprétation de la police favorable à l’assureur, requalification de la clause litigieuse en clause indirecte d’exclusion, la Cour de cassation avait le choix pour casser l’arrêt de la cour d’appel de Paris.

La Cour de cassation a pourtant fait le choix, tout en reconnaissant la rédaction de la police comme imparfaite, de renvoyer au pouvoir souverain des juges du fond, précisant que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation des termes ambigus de cette stipulation, qui définissent l’étendue de la garantie et ne se prononcent pas explicitement sur le point de savoir si les pertes financières postérieures à la date de découverte d’un sinistre continu de fraude sont ou non couvertes, que la cour d’appel a estimé que les pertes subies postérieurement à la découverte d’une fraude continue n’étaient pas garanties ».

Avec tout le respect que l’on doit à la juridiction suprême, on fera toutefois remarquer à la Cour de cassation que ce type de décision va avoir une conséquence particulièrement néfaste sur le contrat « d’extrême bonne foi » que doit être le contrat d’assurance, à savoir amener certains assurés à retarder le plus longtemps possible la déclaration du sinistre fraude pour sauvegarder l’obligation de couverture de l’assureur et la laisser ouverte, si ce type de jurisprudence venait à se développer.

Réaction qui entraînera la contre-réaction de l’assureur qui tentera alors de faire valoir une prescription ou une déchéance de garantie pour déclaration tardive, voire une fraude à ses droits.

De plus, comment passer à côté d’une donnée essentielle du litige, à savoir qu’on était dans un sinistre sériel, que l’on pouvait aisément globaliser puisque la fraude était la conséquence d’un encodage permettant de générer des numéros de cartes potentiellement valides, suivant le même système technique et par le biais d’une même équipe et mêmes complices, ce d’autant plus que la Cour de cassation reconnaît la « fraude continue » au sens du contrat ce qui, en responsabilité, renvoie aux dispositions de l’article L.124-1-1 du Code des assurances.

Mais surtout, qui dit sinistre « continu » ou « globalisé » pose le principe d’un sinistre analysé comme unique par les parties, aussi étalé dans le temps soit-il ; qualifier un sinistre de sériel, l’inscrire dans une clause de globalisation des sinistres doit nécessairement entraîner une conséquence juridique logique, qui est celle que si un sinistre initial est payé, ce qui était le cas ici pour la période située avant la déclaration de sinistre, les autres auraient dû l’être, fussent-ils postérieurs à la déclaration de sinistre…

Il est donc regrettable que la Cour de cassation se soit contentée de cette solution basique, sans comprendre que sa décision, même au motif de l’appréciation souveraine des juges du fond, aboutit à priver d’effet ce type de police au-delà de la déclaration de sinistre (ajoutons avec ce type de clause) ce qui au regard du contexte très particulier qui entoure les contrats fraude et malveillance ou l’efficacité de cette police ne devrait faire aucun débat, à l’instar des polices K&R.

On aurait apprécié, dans ce contentieux si rare des polices fraude et malveillance, une position plus nuancée et juridique de la juridiction suprême, l’arrêt commenté laissant in fine au commentateur l’impression d’une occasion manquée.

Article paru dans La Tribune de l’assurance :   l’édition en ligne