Article – Assurance construction et clause de conciliation préalable : un équilibre subtil

PAR STÉPHANE CHOISEZ, AVOCAT ASSOCIÉ ET ANTOINE SKRZYNSKI, AVOCAT À LA COUR

Comment combiner ordre public judiciaire, qui autorise à saisir les juridictions françaises, et clause de conciliation ou de médiation préalables, imposées par la force obligatoire du contrat de nature à entraver cette saisine du juge ?

Certains arrêts confirment que le droit est – et restera – une science sociale, mais aussi et surtout une école d’imagination où la subtilité règne en maître, comme le démontre le difficile exercice consistant à combiner ordre public judiciaire, qui autorise à saisir les juridictions françaises, et clause de conciliation ou de médiation préalables, imposées par la force obligatoire du contrat de nature à entraver cette saisine du juge.

L’arrêt qui a été rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 23 mai 2019 (n°18-15.286) en est un exemple typique, décision présentée un peu trop rapidement comme renvoyant à l’office du juge en présence d’une clause de conciliation préalable en matière de recours contre le maître d’œuvre.

Dans cet arrêt, qui possède tous les stigmates d’un arrêt de principe (publication au Bulletin, visa ici de l’article 12 du Code de procédure civile, attendu impersonnel), les faits, classiques, sont au service d’un contentieux récurrent au niveau de la juridiction suprême (plus d’une vingtaine d’arrêts), traitant des effets de la clause type G 10 du contrat d’architecte, qui pose comme principe que « en cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le Conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire ».

Suivant les termes d’un arrêt de la cour d’appel de Douai du 8 janvier 2018, deux époux avaient entrepris de faire édifier une maison d’habitation, confiant une mission de maîtrise d’œuvre à un architecte, outre l’exécution des travaux de gros œuvre à une société tierce.

A la suite de difficultés survenues au titre du solde du marché, et au regard de désordres affectant l’ouvrage, les époux auront donc assigné, après la réception de l’ouvrage, tant dans un premier temps l’entreprise de gros œuvre, puis dans un second temps la société d’architecture, dans le cadre d’une expertise préalable à l’indemnisation de leurs préjudices.

Pour s’opposer à cette mise en cause en cours d’instance, la société de maîtrise d’œuvre fera valoir que le contrat d’architecte conclu avec les maîtres d’ouvrages comportait la clause G 10 précitée, qui permettra à la cour d’appel de Douai de suivre l’architecte dans son raisonnement et de déclarer l’action des maîtres d’ouvrage irrecevable faute de respect de la clause de saisine préalable de l’ordre des architectes

Absence de base légale

La Cour de cassation cassera, pour défaut de base légale, l’arrêt de la cour d’appel de Douai en déclarant : « Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, au besoin d’office, si l’action, exercée postérieurement à la réception de l’ouvrage en réparation de désordres rendant l’ouvrage impropre à sa destination, n’était pas fondée sur l’article 1792 du Code civil, ce qui rendait inapplicable la clause litigieuse, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

La décision du 23 mai 2019, plutôt qu’un renvoi à l’office du juge, qui aurait dû « exactement » qualifier l’action (article 12 du Code de procédure civile : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ») est bien plus un rappel de l’articulation que liberté contractuelle et ordre public, surtout en construction, doivent organiser.

Doit-on privilégier ainsi l’ordre public judiciaire et la possibilité de saisir une juridiction, ou doit-on faire primer l’engagement contractuel pris avec l’architecte, au nom de la force obligatoire du contrat, même s‘il ne s’agit ici que d’un simple avis d’une chambre régionale ?

Rappelons que depuis un arrêt de la chambre mixte du 12 décembre 2014 (n° 13-19.684), qui concernait exactement la même clause type du contrat d’architecte renvoyant à l’avis préalable du Conseil régional de l’ordre des architectes, la Cour de cassation avait considéré en présence de cette procédure « obligatoire et préalable à la saisine du juge, favorisant une solution du litige par le recours à un tiers », que le non-respect de la clause type qualifiait une fin de non- recevoir, insusceptible d’être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d’instance.

En d’autres termes, l’architecte pouvait valablement ne pas soulever le non-respect de la procédure préalable amiable pendant la première instance, puis l’opposer en appel, rendant tout recours à son encontre irrecevable, et sans espoir de régularisation possible au niveau de la cour.

Par cette décision radicale, la chambre mixte de la Cour de cassation faisait prévaloir la « fidélité contractuelle » (selon les termes de B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Traité de « droit des Assurances » – LGDJ 2018 spécialement n° 702).

La règle est donc a priori simple, en présence d’une clause de conciliation ou de médiation préalable, la primauté est à la force obligatoire du contrat, même pour obtenir un simple « avis ».

Jurisprudence constante

Cette règle a été confirmée à plusieurs reprises depuis lors. Ainsi, la chambre commerciale dans un arrêt du 16 mai 2018 (n° 16-26.086) rappelait encore récemment, toujours au titre de cette clause type, que la procédure conventionnelle était une « procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, qui constitue une fin de non-recevoir ».

De même, la troisième chambre civile, dans un arrêt du 7 mars 2019 (n° 18-11.995) rappellera toujours au titre de cette même clause du contrat type d’architecte, que celle-ci, inscrite « au pied du cahier des clauses particulières, dont le préambule rappelait que le contrat liant les parties était constitué des clauses particulières et du cahier des clauses générales » rendait la clause de saisine pour avis du Conseil régional de l’ordre des architectes obligatoire, ce dont il découlait une fin de non-recevoir.

C’était donc, pour la Cour de cassation, faire prévaloir une fidélité à la lettre du contrat, qui n’est toutefois pas sans limites. La volonté de la Cour de cassation n’est pas de permettre à un tiers de se prévaloir d’un contrat qui lui est extérieur, ce que rappelle précisément un arrêt de la troisième chambre civile du 18 décembre 2013 (n° 12-18.439).

Aux termes de cet arrêt, la Cour de cassation rappelait que si la saisine préalable par le maître d’ouvrage de l’ordre des architectes pour avis, prévue au contrat, était une condition de recevabilité de l’action à l’encontre de l’architecte, cette saisine préalable pour agir devant les juridictions judiciaires n’était pas pour autant une condition de recevabilité de l’action directe engagée contre l’assureur de responsabilité civile de l’architecte.

En effet, il ne faut pas confondre l’action qui tend à la responsabilité de l’assuré et l’action qui n’est que la mise en œuvre du contrat d’assurance. C’est pourquoi l’action directe de la victime contre l’assureur de l’architecte ne saurait se heurter à une procédure amiable, qui ne la lie pas.

Nouvelle limite à la jurisprudence

L’arrêt du 23 mai 2019 exprime, pour sa part, une nouvelle limite à la jurisprudence et à son extension, et pose le débat de la limite de la liberté contractuelle au regard du régime d’ordre public de la responsabilité décennale.

En effet, ce qui rend dans l’arrêt du 23 mai 2019 inapplicable la clause de conciliation préalable, malgré toutes les jurisprudences précitées, c’est bien tout d’abord le fait que le contrat parlait de l’avis de l’ordre régional « en cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat » et surtout parce que le maître d’ouvrage avait exercé son action postérieurement à la réception de l’ouvrage en réparation des désordres qui rendaient l’ouvrage impropre à sa destination et qui relevait du régime juridique de l’article 1792 du Code civil.

Dès lors que l’on est en présence d’une action relevant de la responsabilité décennale, fondée sur le régime juridique de l’article 1792 du Code civil, ou en tout cas susceptible de l’être (au renvoi fait par la Cour de cassation à l’office du juge), une telle clause ne peut pas être considérée comme valable, puisqu’elle aboutit à contredire un régime d’ordre public absolu, établi par l’article 1792-5 du Code civil (pour un exemple proche, d’un contrat d’assurance devant couvrir tous les faits générateurs de responsabilité décennale, voir Civ. 3e, 4 février 2016, n° 14-29.790 et 15-12.128).

La jurisprudence passée n’est pas mise à bas toutefois, ainsi que le démontre facilement un arrêt de la première chambre civile, rendu le 5 juin 2019 (n° 18-11.578), en vertu toujours de la même clause, dans ce litige où on ne traitait pas la question du régime de l’article 1792 du Code civil mais d’une simple responsabilité civile de l’architecte et de son géomètre, au titre d’un retard dans la délivrance d’un permis de construire.

L’architecte, classiquement, fera valoir une irrecevabilité faute de respect de la procédure contractuelle ce qu’accordera la cour d’Appel d’Aix-en-Provence suivant décision du 9 novembre 2017.

Le pourvoi en cassation sera sèchement rejeté sans motivation (« il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation »). La Cour de cassation ayant fixé une nouvelle ligne d’horizon au mécanisme d’irrecevabilité de ces clauses, et il faut s’attendre à voir surgir des débats portant sur les dispositions protégées par l’ordre public, et celles qui ne le sont pas.

On le voit, l’équilibre entre la liberté contractuelle et l’ordre public se construit jour après jour, le problème étant qu’il faille autant de procès pour le faire comprendre.

Article paru dans La Tribune de l’assurance :    l’édition en ligne

Leave a Reply