Article – Déchéance de garantie : une obligation avant tout conventionnelle

Mardi 8 octobre 2019

Article de Maître Stéphane CHOISEZ

La persistance de certains contentieux en assurance, totalement inutiles tant la solution est certaine et acquise, demeure un mystère pour de nombreux praticiens. C’est ce qu’a rappelé la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 4 juillet 2019.

Dans l’arrêt n° 18-18.444, la Cour de cassation, au visa de l’article L.113-2 4° du Code des assurances, a précisé les conditions de déchéance pour un assuré. Celle-ci n’est envisageable que « si les dispositions contractuelles applicables la prévoient en cas de déclaration tardive », évidence qui a manifestement échappé aux protagonistes du procès.

Les faits du litige sont d’ailleurs simples. Une société a conclu deux polices avec un assureur dont les clauses prévoient que tout sinistre doit être porté à la connaissance de l’assureur dans un délai de cinq jours. Toutefois, aucune sanction attachée au non-respect de cette obligation conventionnelle déclarative n’a été mentionnée dans les contrats.

A la suite d’un sinistre ayant frappé des appareils électriques de la société en novembre 2011, l’assurée le déclare le 3 janvier 2012, au-delà des cinq jours contractuels. L’assureur refusera sa garantie puis, étonnamment, adressera un paiement partiel à son assuré.

Au niveau de la cour d’appel de Fort-de-France (Martinique), suivant l’arrêt rendu le 23 janvier 2018, les juges du fond considéreront que le sinistre avait été déclaré tardivement, et que de plus, l’assureur établissait le préjudice qui en avait découlé en argumentant que le retard l’aurait empêché de mener une expertise efficace et d’exercer un recours utile.

La cassation, pour défaut de base légale, était dès lors inévitable au regard du texte même de l’article L.113-2 4° du Code des assurances, qui dispose pourtant clairement que :

« L’assuré est obligé : 4° de donner avis à l’assureur, dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat, de tout sinistre de nature à entraîner la garantie de l’assureur. Ce délai ne peut être inférieur à cinq jours ouvrés.

Les délais ci-dessus peuvent être prolongés d’un commun accord entre les parties contractantes.

Lorsqu’elle est prévue par une clause du contrat, la déchéance pour déclaration tardive au regard des délais prévus au 3° et au 4° ci-dessus ne peut être opposée à l’assuré que si l’assureur établit que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice. Elle ne peut également être opposée dans tous les cas où le retard est dû à un cas fortuit ou de force majeure. »

Trois conditions

Le texte pose donc trois conditions (cf. le rappel de S. Abravanel-Jolly dans L’Essentiel du droit des assurances, septembre 2019, page 2) pour pouvoir opposer une déchéance de garantie :

  • le fait qu’il existe réellement une clause de déchéance dans la police, où le mécanisme de déchéance est « prévu par une clause du contrat »,
  • que cette clause soit rédigée en caractères « très apparents » (L.112-4 du Code des assurances),
  • et que la déclaration tardive ait causé « un préjudice » à l’assureur.

Le premier réflexe, pourtant évident, pour le praticien est, avant d’opposer une clause de déchéance de garantie, de vérifier qu’une telle clause existe bien au sein de la police.

Cela signifie pratiquement que si le contrat ne prévoit pas de déchéance de garantie, celle-ci ne peut être invoquée par l’assureur (2civ. 6 février 2014, n° 13-11767).

Certes, dans l’arrêt du 4 juillet 2019, il était prévu au sein de la police une obligation de déclaration du sinistre dans le délai de cinq jours, soit au sens littéral une clause contractuelle, mais celle-ci ne prévoyait manifestement pas de sanction particulière, ce qui ne permettait pas de la qualifier de clause de déchéance mais simplement de clause obligeant à déclarer les sinistres, nuance d’importance.

Cette nécessité d’édicter clairement dans une police qu’on est en présence d’une déchéance potentielle en cas de sinistre déclaré tardivement n’est pas nouvelle en contentieux, comme l’a rappelé un arrêt de la Cour de cassation du 7 février 2013 obligeant à détailler le mécanisme de sanction contractuel (n° 12-12349). Et en cas de doute, faute d’être claire et précise (1ere civ. 7 avril 1987 n° 85-16362), la clause serait interprétée en faveur de l’assuré. La messe était dès lors dite, et la cassation rendue, logique et conforme au droit des assurances.

Contentieux inutile

Il semble regrettable que l’assuré n’ait pas vu depuis l’origine que, sur le plan tactique, il s’engageait dans un débat sans guère d’intérêt sur le fait de savoir si sa déclaration était tardive, ou si le paiement de l’assureur postérieurement à l’invocation de la déchéance valait renonciation à celle-ci. En effet, la solution était évidente depuis le départ, à savoir l’absence de déchéance possible. De l’autre côté, quel intérêt pour la compagnie de monter ce contentieux en cassation, au vu d’une police imparfaite ?

A une époque où la Cour de cassation se plaint de son encombrement, et où fleurissent les projets destinés à restreindre l’accès à la juridiction suprême au détriment même des intérêts des justiciables, la perte de temps imposée par ce type de contentieux apporte d’inutiles arguments pour les thuriféraires de ces réformes.

Espérons que la cour de Fort-de-France, saisie du renvoi, saura abréger un contentieux aussi inutile que long, le litige ayant démarré il y a plus de six ans déjà.

De l’intérêt de maîtriser la technique assurantielle, et sa règle simple : la déchéance de garantie est un mécanisme conventionnel avant d’être légal. Ni plus, ni moins.