Interview – Assurance vie : « Il est encore trop tôt pour codifier un nouvel usage du courtage »

Lundi 28 octobre 2019

Interview de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

Le 23 octobre dernier, l’Ancia (Planète CSCA, Agéa, Anacofi), le CNCEF et la Compagnie des CGP signaient une position commune pour réformer le 3e usage du courtage pratiqué par les intermédiaires en assurance vie individuelle. Stéphane Choisez, avocat associé du cabinet Choisez Associés, revient sur l’utilité de cette position commune et les conséquences pratiques sur la rédaction des conventions de courtage.

En quoi cette position commune des différentes familles d’intermédiaires est-elle importante ?

C’est une avancée majeure dans l’équilibre à trouver entre droit à juste commissionnement du courtier créateur du contrat, le droit d’un nouveau courtier à être rémunéré de son travail et le droit légitime de l’assuré à choisir son mandataire. Plusieurs choses sont très intéressantes à noter. Le nombre des signataires est élevé (ANCIACNCF, la Compagnie des CGP), et va au-delà du strict monde du courtage, et qui permet à des professions intervenant à titre accessoire dans cette activité de courtage de faire valoir une position de place. Le mécanisme utilisé ensuite, qui est celui de la soft law, qui démontre de plus en plus son importance dans le domaine de l’assurance, et notamment de l’intermédiation, et prouve également la maturité des acteurs de l’intermédiation qui cherchent à résoudre les questions qui se posent sans passer par le législateur.

Pourquoi devaient-elles statuer sur cette question du 3e usage du courtage ?

La question qui se posait était, notamment en assurance vie individuelle où les droits de l’assuré sont souvent liés à la date de création du contrat, de faire en sorte que lorsque l’assuré souhaite changer de courtier, le nouveau courtier puisse recevoir une juste rémunération de son travail, sans pour autant que le courtier créateur de la police ne soit oublié, ce qui, à la lettre de l’usage n°3 pose problème si le contrat d’assurance n’est pas résilié. Toute la question était de combiner ces différents droits entre eux, sans oublier personne.

Justement, en quoi les deux propositions règlent la question ?

Elle fixe tout d’abord un périmètre, et déclare s’appliquer aux contrats d’assurance-vie individuelle avec des valeurs de rachat, aux contrats de capitalisation – dont on rappellera sans cesse qu’ils ne sont pas des contrats d’assurance-vie – ou à certains contrats d’assurance comme ceux des articles L 132-5-3 et L 441-1  du Code des assurances.

La préconisation de la position commune est d‘ouvrir une option quand un nouveau courtier est désigné par le client, révoquant ainsi l’ancien courtier. Soit le nouveau courtier indemnise le courtier créateur, à l’origine de la police, en une seule fois, suivant leur accord, ou à défaut sur la base d’un coefficient de 1.5, correspondant à 18 mois de commissionnement. Soit c’est la compagnie qui verse l’indemnité avec compensation sur les commissions à devoir au nouveau courtier, dans des conditions financières équivalentes.

Pourquoi ne pas avoir codifié immédiatement cette position commune dans les usages et réécrit l’usage numéro 3 ?

Justement parce que nous sommes en présence de soft law, ou la norme devient usage si elle se diffuse. Il était trop tôt pour codifier un nouvel usage. Mais juridiquement, il faut se souvenir que la soft law est une norme non obligatoire que les parties conviennent pourtant de respecter. C’est le temps, qui permettra de dire comment cette évolution de l‘usage va se diffuser.

Concrètement, comment cette position va-t-elle s’insérer dans les conventions entre compagnies et courtiers ?

S’agissant de soft law, on pourrait l’appliquer tel que, mais il est plus prudent de contractualiser la position commune et de sécuriser le schéma, ce que la position commune préconise d’ailleurs clairement, et intégrer cette évolution de l’usage numéro 3 dans les accords de distribution ; la position commune devient alors un engagement contractuel, et on passe de la soft à la hard law. Un simple avenant contractuel, où les parties indiquent appliquer la position commune du 23 octobre 2019, suffit sur un plan juridique.

Les assureurs seront-ils tentés de réécrire les conventions de courtage sur la base des deux propositions ou bien de contourner le 3e usage, le jugeant obsolète ?

La position commune a l’avantage pratique de régler une question délicate qui peut facilement dégrader les relations des assureurs avec leurs différents courtiers, ou chacun fait valoir des demandes légitimes. Elle ne change rien au montant du commissionnement qui sera versé à l’un, puis à l’autre des courtiers.

Propos recueillis par Sébastien Acedo