Article – « Aliénation » de la chose assurée et maintien de l’assurance de dommages

Mardi 5 novembre 2019

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

Le contentieux de la Cour de cassation permet parfois de faire émerger des textes peu usités du Code des assurances (ici l’article L.121-10), chaque arrêt devenant alors une source d’enseignements pour le patricien. Tel est le cas de l’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 24 octobre 2019 (n° 18-15.994) qui permet de préciser le périmètre de l’article L.121-10 du Code des assurances, le texte pouvant porter « sur un bien mobilier ou immobilier, corporel ou incorporel » peu important « le mode d’aliénation de la chose assurée ».

Avant d’entamer le commentaire d’arrêt, il nous a paru utile de rappeler le texte de l’article L.121-10 du Code des assurances, inscrit dans le chapitre I « dispositions générales » du Titre II « règles relatives aux assurances de dommages », qui dispose qu’ « en cas de décès de l’assuré ou d’aliénation de la chose assurée, l’assurance continue de plein droit au profit de l’héritier ou de l’acquéreur, à charge par celui-ci d’exécuter toutes les obligations dont l’assuré était tenu vis-à-vis de l’assureur en vertu du contrat. Il est loisible, toutefois, soit à l’assureur, soit à l’héritier ou à l’acquéreur de résilier le contrat…. Il ne peut être prévu le paiement d’une indemnité à l’assureur dans les cas de résiliation susmentionnés. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables au cas d’aliénation d’un véhicule terrestre à moteur. »

Cet article, par dérogation au droit commun et au principe d’intuitu personae, pose donc le principe d’une survivance au moins temporaire de la police d‘assurance, suivant un privilège qui peut faire l’objet d’une renonciation, par voie de résiliation, soit de la part de l’acquéreur du bien assuré ou de l’héritier de l’assuré, soit de la part de l’assureur.

Ce texte est habituellement utilisé en contentieux sur son versant « aliénation de la chose assurée », la Cour de cassation ayant été notamment amenée à distinguer l’exercice de l’action menée par le nouveau propriétaire, de sa cause, sa date ou de son origine.

C’est ainsi que la plus haute juridiction a précisé dans un arrêt du 15 septembre 2016 (n° 15-21.630), s’agissant de la  vente d’un immeuble, que « sauf clause contraire, l’acquéreur a seul qualité à agir en paiement des indemnités d’assurance contre l’assureur garantissant les dommages à l’ouvrage, même si la déclaration de sinistre a été effectuée avant la vente », tandis qu‘un arrêt du 7 mai 2014 (n° 13-16.400) précise, dans une sentence identique, que seul l’acquéreur peut recevoir le bénéfice de l’assurance des vendeurs garantissant les risques de catastrophe naturelle « même pour les dommages nés antérieurement à la vente ».

L’arrêt du 24 octobre 2019, par la généralité des principes affirmés, permet néanmoins de compléter les axiomes posés par le texte de l’article L.121-10 du Code des assurances. Il s’agissait en l’espèce, d’une société exploitant une résidence hôtelière et pour laquelle elle avait souscrit auprès d’un assureur une police dite « multirisque hôtel/restaurant ».

La société souscriptrice ayant été placée en redressement judiciaire suivant jugement du 22 janvier 2010, un arrêt du 13 juillet 2011 ordonnera la cession du fonds de commerce au profit de la société Odalys.

Un incendie frappera la résidence hôtelière le 2 septembre 2011, entraînant la fermeture totale de l’établissement du 3 septembre au 1er octobre 2011, et sa fermeture partielle jusqu’en juin 2012.

Cession d’entreprise

Parallèlement, l’administrateur judiciaire signera un acte de « cession d’entreprise » en date du 5 octobre 2011, à effet rétroactif du 1er octobre 2011, au profit de la société Odalys. La société Odalys se retournera alors vers l’assureur afin de solliciter le paiement de la garantie « perte d’exploitation », assureur qui refusera cette demande entraînant le contentieux.

In fine, la cour d’appel d’Aix-En-Provence fera droit le 1er mars 2018 à la demande du nouveau propriétaire, entraînant le pourvoi de l’assureur.

La compagnie reprochait, et son argumentaire pouvait se comprendre, qu’en tant qu’exploitant de la résidence hôtelière, suivant différents baux commerciaux comme le schéma habituel l’organise, la société en redressement judiciaire n’avait pu transmettre plus de droits qu’elle n’en possédait, ce qui faisait que faute « d’aliénation » de la propriété des appartements, et a fortiori de la résidence, l’article L.121-10 du Code des assurances ne pouvait jouer.

Ce pourvoi sera pourtant radicalement rejeté par la Cour de cassation dans les termes suivants : « Mais attendu, selon l’article L.121-10 du Code des assurances, qu’en cas de décès de l’assuré ou d’aliénation de la chose assurée, l’assurance continue de plein droit au profit de l’héritier ou de l’acquéreur, à charge pour celui-ci d’exécuter toutes les obligations dont l’assuré était tenu vis-à-vis de l’assureur ; que cette disposition impérative, qui ne distingue pas selon le transfert de propriété porte sur un bien mobilier ou immobilier, corporel ou incorporel ni selon le mode d’aliénation de la chose assurée, s’applique en cas de cession d’un fonds de commerce ordonnée lors d’une procédure de redressement judiciaire »

Dés lors et pour la Cour de cassation, puisqu’un acte de cession d’entreprise était intervenu le 5 octobre 2011, « la transmission du contrat d’assurance accessoire à cette cession d‘actif s’était effectuée de plein droit ».

Définition du transfert de propriété

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cet arrêt.

Le transfert de propriété, tel qu’envisagé par l’article L.121-10 du Code des assurances, est bien plus large que la simple transmission d’un bien immobilier ; il concerne des éléments corporels ou incorporels et porte notamment sur une cession de fonds de commerce, serait-elle organisée dans le cadre d’un redressement judiciaire. De façon surabondante toutefois, la Cour de cassation renvoie à la notion de « cession d’entreprise » pour se rapprocher au plus près de la notion de transfert de propriété, tel que l’exprime l’article L.121-10 du Code des assurances.

Le texte de l’article L.121-10 du Code des assurances voit ici également confirmé son statut d’ordre public (« disposition impérative »), dont le caractère contraignant est contrebalancé par la faculté de résiliation que prévoit le texte lui-même, ce qui suppose que l’assureur ait le temps matériel de réagir.

Enfin, précision intéressante, le contrat d’assurance est ici considéré comme un « accessoire » de la cession d’actifs, renforçant l’idée que le texte légal crée un privilège de nature à permettre l’efficacité de la police. N’en reste pas moins que, passant outre le fait qu’il ne s’agissait pas d’une vente d’un immeuble, mais des droits tirés d’une convention d’un exploitant de résidence hôtelière, la Cour de Cassation étend le mécanisme légal à des hypothèses qui n’avaient pas été forcement intégrées par le législateur.

Le fait que la Cour de cassation publie cet arrêt sur son site, ce qui suppose qu’elle l’ait sélectionné pour son intérêt, amène le commentateur à relever, quatre-vingt dix années ou presque après la loi de 1930, combien la Cour de cassation peut être créatrice de règles juridiques, sous couvert d’interprétation des textes.

De l’intérêt de suivre en permanence le fil de la jurisprudence…