Article – L’autorité de chose jugée de la transaction en assurance

Mardi 18 février 2020

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

La transaction est un contrat dans sa formation, certes, mais aussi et surtout un jugement dans ses effets. C’est ce que vient de rappeler sèchement un arrêt de la Cour de cassation où une victime, qui contestait que la transaction passée avec l’assureur de l’auteur de son accident ait couvert l’ensemble de ses préjudices, a été déboutée de ses demandes d’indemnisations complémentaires au motif que la transaction couvrait tous les postes de préjudices patrimoniaux, et était donc assortie de l’autorité de la chose jugée sur l’ensemble de ceux-ci.

On présente souvent la transaction comme un simple contrat classique, issu du Code civil dans sa version de 1804, librement négocié par les parties, destiné à régler de façon non conflictuelle un litige, hors la vue des tribunaux. Une forme de préfiguration des désormais célèbres MARC (modes alternatifs de règlement des litiges).
 
Tout le débat vient de fait de l’article 2048 du Code civil qui dispose que « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».
 
Cela signifie pratiquement que la qualité de la rédaction de la transaction va déterminer la possibilité pour la victime d’un accident de la circulation de faire valoir, ou pas, des droits oubliés ou méconnus. En clair, même justifiées dans leur principe, les demandes peuvent être jugées irrecevables.
 
Il est certes évident qu’une victime « ne peut demander réparation d’un préjudice qui se trouve déjà compris dans la transaction » (voir note J. Landel in RGDA 2017 p. 489 et suivantes du 13 juin 2017, en l’occurrence il s’agissait d’un préjudice sexuel et de procréation). Et réciproquement, si les termes de la transaction sont précis, ils ne peuvent être étendus au-delà de leur portée. Mais tout est alors question de rédaction du texte de la transaction. Ainsi, pour une « quittance et décharge définitive et renonciation à toute réclamation à raison dudit sinistre », celle-ci ne peut concerner que les dommages matériels, ce qui ouvre le droit à une indemnisation du préjudice financier et moral (Civ. 1re du 6 mai 2003, n° 00-21.103).
 
De même, si l’indemnité versée traite de frais funéraires, la victime qui a transigé en signant au bas de la transaction en indiquant « renoncer à toute action présente ou future sur les dommages dont il s’agit » (Civ. 1re du 18 septembre 2002, n° 00-14.773) n’entendait pas pour autant renoncer à la réparation de son préjudice économique.

De l’importance du périmètre du contrat

Mais si le texte de la renonciation est général, largement rédigé, l’objet de la transaction le sera également. Et toute action nouvelle de la victime se heurtera instantanément aux dispositions de l’article 2052 du Code civil qui dispose que « les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort. Elles ne peuvent être attaquées pour cause d’erreur de droit, ni pour cause de lésion ».
 
Signer une transaction « trop large » rend donc l’action complémentaire de la victime, fut-elle dans son bon droit, irrecevable, comme se heurtant à l’autorité de chose jugée de la transaction.
 
C’est ce qui est arrivé à une victime d’accident de la circulation qui, le 22 décembre 2005, a été heurtée par un véhicule terrestre à moteur, dès lors impliqué au sens de la loi Badinter. L’assureur du conducteur a alors conclu avec la victime une transaction le 8 février 2012, mais estimant subir différents préjudices non indemnisés, cette victime finira par assigner l’assureur le 16 janvier 2015.
 
Elle demandera alors l’indemnisation des préjudices relatifs aux frais de matériels médiaux et équipements spécialisés, et à l’acquisition d’un logement adapté. L’assureur opposera alors l’irrecevabilité des demandes au regard de l’autorité de chose jugée attachée à la transaction, argument qui sera accueilli par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 29 mars 2018.
 
Devant la Cour de cassation, la victime arguera essentiellement que la transaction visait une liste de postes précis, ne comprenant pas les frais de matériels médicaux et les équipements mobiliers spécialisés, outre ceux nécessaires à l’acquisition d’un logement adapté à son handicap.
 
De même, elle revendiquait que déclarer irrecevable ces demandes revenait à présumer d’une renonciation aux postes de préjudices non énumérés, ce qui revenait à violer la règle selon laquelle une renonciation ne peut se présumer.
 
Malgré les conséquences pratiques graves de la solution retenue, et en rejetant le pourvoi qui aurait mérité – au moins sur ce deuxième moyen – une analyse plus détaillée, la Cour de cassation va poser que : « Le texte même de la transaction démontrait qu’elle avait pour objet de couvrir l’ensemble des postes de préjudice résultant de l’accident, qu’il était mentionné que l’indemnisation portait sur tous les postes de préjudice patrimoniaux, qu’il se déduisait de la formule selon laquelle le bénéficiaire reconnait être dédommagé de tout préjudice et renonce à tous droits et actions ayant les mêmes causes et objet…..que les parties avaient entendu envisager l’indemnisation du préjudice subi par Mme X….dans toutes ses composantes. »
 
Si sur le plan de la logique juridique et du régime légal applicable aux transactions, cet arrêt peut se défendre, on reste troublé qu’il n’ait pas été possible de permettre à une victime manifestement gravement atteinte, du fait de la simple rédaction du texte d’une transaction à laquelle cette victime n’avais pas participé, d’aboutir avec l’assureur à une solution intermédiaire amiable.

Nécessité de conseil avant de s’engager 

On ne saurait donc trop inviter les victimes de graves accidents de la circulation amenées à signer une transaction d’en vérifier (en amont) précisément la portée, et de se faire aider, soit par un avocat, soit par une association de défense des victimes.
 
A défaut, le risque est grand de voir des demandes justifiées dans leur principe être écartées au nom de l’effet légal de la transaction. Notons, sur une note plus positive, que bien évidemment l’autorité de la chose jugée ne s’applique pas à l’aggravation d’un préjudice (Civ. 2e du 23 mars 2017, n° 16-15.139).
 
Et cette aggravation, étant d’ailleurs elle-même soumise à la loi Badinter, oblige l’assureur à formuler auprès de la victime une offre d’indemnisation au sens de l’article L.211-9 du Code des assurances, dans le délai de cinq mois à compter de la date à laquelle il est informé de la consolidation de l’état aggravé de la victime.
 
La négociation amiable d’une transaction n’en reste pas moins un art délicat, qu’il est dangereux de prendre à la légère.

Cass. 16 janvier 2020, n°18-17.677