Devoir de conseil et force obligatoire du contrat : l’épineuse équation

Mardi 23 juin 2020

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

Sous l’effet de la DDA, le devoir de conseil de l’assureur est de plus en plus pris en considération dans les décisions de justice. C’est une des principales conclusions de l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse (n° 19/02521), qui condamne un assureur au titre de manquements au devoir de conseil, alors même que le contrat d’assurance prévoyait une entrée en vigueur de la garantie ultérieure à la date du sinistre.

Certaines décisions des juridictions du fond attirent parfois l’attention du commentateur en démontrant le « bon sens » cher au doyen Carbonnier qui devrait irriguer les règles de droit et donc les décisions judiciaires. L’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 28 mai 2020 (n° 19.02521) est un excellent rappel de plusieurs règles de la matière assurance et notamment de la problématique liée au devoir de conseil de l’assureur envers un assuré profane.

La configuration contractuelle

Les faits sont assez complexes, notamment au regard de l’existence de deux ou trois contrats d’assurance – selon le point de vue des protagonistes – et de la volonté de l’assuré de créer un continuum entre ces contrats, la position strictement inverse étant soutenue par l’assureur, ce qui ouvrait ou fermait tout droit à garantie.

Cette confrontation va naître quand un militaire du 1er RPIMA de Bayonne va « souscrire » trois contrats d’assurance auprès de l’Association générale de prévoyance militaire (AGPM) les 9 septembre 2000, 26 décembre 2011 et 13 janvier 2012.

Le jeune militaire va acquérir son brevet militaire de parachutiste le 16 décembre 2010, donc après le « premier » contrat, ce qui va lui ouvrir le droit à une prime qu’il va percevoir jusqu’à ce que, après un accident du 26 janvier 2012, il ne puisse plus sauter en parachute.

Estimant avoir depuis 2010 souscrit une garantie « perte de l’indemnité de service aérien » auprès de l’AGPM, l’assuré va solliciter le paiement de l’indemnité prévue sous forme de rente viagère à hauteur de 400 € par mois depuis le 26 janvier 2012, soit depuis le début de son incapacité à exercer le parachutisme.

L’assureur lui opposera le fait que le premier contrat du 9 septembre 2010 n’avait pas été formé, que le second du 26 décembre 2011 ne comprenait pas la garantie « perte de l’indemnité de service aérien » tandis que le troisième du 13 janvier 2012 était certes antérieur à l’accident du 26 janvier 2012, mais qu’il ne pouvait être mobilisé puisque le militaire avait indiqué : « Je demande que les garanties prennent effet le 1er février 2012 », soit une date postérieure à l’accident.

Le tribunal de grande instance d’Albi, saisi du litige, déboutera le jeune militaire de ses demandes qui interjettera appel de la décision. La cour d’appel de Toulouse infirmera, mais partiellement, le jugement entrepris, précisément sur la question du devoir de conseil de l’assureur.

Date de formation et force obligatoire des contrats

Il apparaît en effet, comme le développera justement la cour d’appel de Toulouse sous l’angle du droit probatoire, que la première police « souscrite » selon l’appelant le 9 septembre 2010 n’en était pas une, puisque l’assuré ne produisait en fait aux débats qu’une demande d’adhésion, soit une simple offre de souscription, que de surcroît l’assureur avait refusé par courrier du 10 décembre 2010 au motif que le militaire n’était pas célibataire, ce qui était manifestement une condition pré-requise de la garantie, tandis qu’il n’avait payé aucune prime d’assurance, outre le fait qu’il avait à la date du projet de contrat coché la case « sans spécialité » et non pas la case « parachutiste »…

Le second contrat du 26 décembre 2011, lui valablement formé, ne comprenait pas de garantie « perte de l’indemnité de service aérien » ce qui empêchait tout débat. Restait donc en jeu le dernier contrat, signé le 13 janvier 2012 mais à effet du 1er février 2012, document signé de la main de l’assuré, ce qui faisait que les suites de l’accident du 26 janvier 2012 ne pouvaient être prises en charge par l’assureur.

C’est donc logiquement que la cour d’appel de Toulouse confirmait le jugement entrepris en indiquant : « C’est donc à juste titre que le premier juge a considéré qu’aucun contrat ne peut permettre… d’obtenir le paiement de la garantie. »

Ce n’était toutefois que pour mieux rebondir sur la force obligatoire du contrat et basculer vers le devoir de conseil de l’assureur. Celui-ci spécialisé dans l’assurance destinée aux militaires n’aurait-il pas dû expliquer au jeune parachutiste qu’il était nécessaire, au vu de la dangerosité de son métier, de s’assurer à effet immédiat ? Car si tel avait été le cas, soit une garantie acquise dès le 13 janvier 2012, la garantie perte d’indemnité pouvait jouer, l’accident ayant eu lieu treize jours après la signature de la police. En clair, le dossier ne caractérisait-il pas une violation manifeste du devoir de conseil de l’assureur ?

Averti ou profane ?

Rappelons tout d’abord qu’en matière de devoir de conseil de l’assureur, aussi bien en dommage qu’en vie, pour qu’un assureur soit débiteur du devoir de conseil envers un assuré, ce n’est pas la différence entre professionnel et non professionnel qui importe mais plutôt la distinction entre un assuré averti et un assuré profane (voir Cassation 2e du 05 octobre 2017, n° 16-195165 ; arrêt traitant notamment de la faculté de renonciation en assurance vie).

Un assuré non professionnel pourrait ainsi être averti du domaine de l’assurance, tandis qu’un professionnel pourra lui être profane en assurance. Dans le premier cas, le devoir de conseil de l’assureur n’existe pas, tandis que l’assuré peut l’invoquer dans le second. Cela explique la jurisprudence de la Cour de cassation (Civil 2e du 22 novembre 2018, n° 17-27148) où un professionnel maîtrisant l’assurance dans son domaine d’activité, et donc considéré comme averti, n’a pas à être conseillé par l’assureur (en l’occurrence, il s’agissait d’un professionnel de l’immobilier qui avait oublié d’assurer un pavillon dans le cadre de l’assurance d’un autre bâtiment lui appartenant).

Revers de la médaille, démontrer qu’une personne est avertie ou profane en droit des assurances n’est pas chose aisée, et on rejoint, comme en matière de responsabilité des intermédiaires en assurance, une casuistique qui heurte la notion de prévisibilité du contentieux. En l’espèce, notre assuré pouvait sans grand risque invoquer le fait qu’il était profane, ce que montrait son jeune âge et sa formation militaire. On imagine que le fait que l’assureur soit dédié à l’assurance militaire n’est pas étranger à la solution retenue ; dans l’esprit des juges cet assureur, plus que d’autres, savait qu’il était nécessaire d’assurer vite une activité par nature dangereuse.

L’information documentaire et le devoir de conseil

On pourrait objecter – comme le faisait l’assureur – que c’est l’assuré lui-même qui avait fait le choix de la date de prise d’effet de la police, et que les documents contractuels étaient suffisants à l’éclairer. Toutefois, même la question de l’information documentaire, qui se distinguerait du devoir de conseil de l’assureur comme établie par la simple transmission des documents contractuels, est moins simple qu’il n’y paraît.

Ainsi on pourrait penser qu’une information communiquée via une clause claire et précise des conditions générales ou particulières, valablement remises, dispense l’assureur de son devoir de conseil. La solution est pourtant plus subtile.

Certaines décisions ont ainsi retenu que la clarté des clauses ne dispensait pas l’assureur du devoir de conseil, en posant que « l’assureur est tenu d’éclairer l’assuré sur l’adéquation des risques couverts par les stipulations du contrat d’assurance, fussent-elles claires et précises, à sa situation personnelle » (Civile 1re du 13 décembre 2012 n° 11-27631).

Un arrêt récent semble aller dans un sens inverse puisqu’au terme d’une décision de la 2e chambre civile du 17 janvier 2019 (n° 17-26 107 150), la Cour de cassation retient le fait que l’assuré avait pris connaissance lors de la souscription du contrat des conditions générales et particulières de la police et que les demandeurs ne justifiaient pas avoir porté à la connaissance de l’assureur l’existence d’une collection de pièces en or et en argent.

Puis, la Cour de cassation (qui en filigrane renvoie au fait que la déclaration de cette collection aurait majoré la prime) d’ajouter que « l’absence de souscription de la garantie « objets de valeur » procédait d’un choix effectué en toute connaissance de cause », ce qui permettait d’en déduire que l’assureur « n’avait pas manqué à son obligation d’information et de conseil ».
 
C’est plutôt vers la solution classique que s’est tournée la cour d’appel de Toulouse. Le fait que le choix du militaire se soit porté sur une prise d’effet différée de la garantie n’exonérait donc pas l’assureur – insistons encore spécialisé en matière d’assurance dédiée à de jeunes militaires – de porter un conseil simple et accessible à un profane en la matière, celui de s’assurer à effet immédiat. C’est ce qu’exprimer la cour en précisant que « l’assureur est tenu d’un devoir de conseil sur l’adéquation des risques couverts à la situation personnelle de l’assuré ».

La perte de chance

Restait toutefois à qualifier une dernière condition, puisque conformément à l’arrêt de la 2e chambre civile du 07 mars 2019 (n° 18-10604), il convient notamment en matière de devoir de conseil de qualifier la faute mais aussi de démontrer le préjudice subi, ici via la perte de chance.

L’assuré avait sollicité une somme de 80 000 € qui ne pouvait lui être accordée puisque si la garantie « perte d’indemnité » avait été octroyée, et avait pu fonctionner, elle ne pouvait durer que vingt-quatre mois au sens de la police, soit un total maximal possible de 9 600 €, ramené à 9 000 € de dommages et intérêts comme l’oblige l’aléa qui doit toujours exister dans le calcul de la perte de chance. Au final, la cour d’appel de Toulouse a condamné la société́ AGPM assurance à payer à M. P. la somme de 9 000 € à titre de dommages et intérêts pour manquements au devoir de conseil

Demain l’influence de la DDA

Rien n’est donc simple en matière de devoir de conseil de l’assureur, ce d’autant plus que les cartes ont été rebattues avec la réforme issue de la directive n° 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurance, dite « directive DDA ».

Rappelons qu’en ce qui concerne l’ensemble des contrats d’assurance, le nouvel article L.521-4 I du Code des assurances, créé par l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018, oblige au respect de règles de conduite du distributeur d’assurance, dont celle de fournir les informations « objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse afin de lui permettre de prendre une décision en toute connaissance de cause » sachant que « le distributeur conseille un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur ». C’est donc forcer l’assureur à obtenir une information plus fouillée et poussée sur la personnalité et les besoins des clients afin que le conseil soit le plus adapté possible.

On le voit, d’un simple litige, avec des enjeux limités, on aboutit à débattre encore et toujours des grands principes.