Mardi 7 juillet 2020
Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur
Le droit européen de l’assurance poursuit sa construction, pierre après pierre, grâce au travail patient de la Cour de justice l’Union européenne (CJUE) qui, dans son arrêt du 11 juin 2020 (affaire C-581/18 RB/TUV Rheinland LGA Products et Allianz IARD), a jugé que l’interdiction générale de discrimination en raison de la nationalité ne saurait trouver à s’appliquer à une clause, prévue dans la police conclue entre une compagnie d’assurance française et un fabricant de dispositifs médicaux français, qui limite la portée géographique de la couverture d’assurance de responsabilité aux seuls dommages survenus sur le seul territoire d’un Etat membre (ici la France).
La société Poly implant prothèse, dite PIP, concevait des prothèses mammaires qui se sont révélées défectueuses et qui ont entraîné des complications ou des risques aggravés de santé pour plus de 400 000 femmes dans le monde.
A la suite de la liquidation judiciaire de la société PIP, par décision du tribunal de commerce de Toulon du 30 mars 2010, les victimes se sont retournées contre l’organisme en charge de la procédure d’évaluation de conformité, la société TUV Rheinland, qui est le leader mondial de la certification en matière de sécurité (on rappellera que cette procédure de certification est imposée par la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 sur les dispositifs médicaux, principe que l’on retrouve à l’article L.5211-3 du Code de la santé publique).
De très nombreuses victimes empruntèrent le chemin judiciaire, aussi bien devant les juridictions françaises qu’étrangères, ce qui entraînera une première décision, émanant d’une saisine en Allemagne, de la CJUE du 16 février 2017 (C-219/15 in RGDA 2017 page 241 avec le commentaire du professeur Knetsch) où la CJUE apportera d’importantes précisions.
Ainsi, pour la CJUE, le contrat entre PIP et le certificateur crée des obligations qui visent « à protéger les destinataires finaux » du produit, ce qui oblige la société TUV Rheinland à exécuter ses obligations afin que la sécurité qui doit en découler bénéficie aux consommatrices finales de ces implants. On rejoint ici l’idée qu’une faute contractuelle peut dériver en faute délictuelle, selon la règle posée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 13 janvier 2020 (n° 17-19963). C’est donc bien un problème d’indemnisation des victimes qui guide l’ensemble des contentieux, ce que l’arrêt de la CJUE du 11 juin 2020 ne renie pas, posant le même débat sous un autre angle.
Il s’agissait ici d’une ressortissante allemande s’étant fait poser en 2006 des implants mammaires produits par la société PIP et qui, après tant d’autre, cherchait à faire indemniser son préjudice. La ressortissante allemande va alors introduire, en Allemagne, une action en dommages et intérêts visant solidairement le médecin qui l’avait implanté, mais encore le TUV Rheinland et Allianz, en sa qualité d’assureur RC de PIP, au nom de l’action directe dont elle bénéficiait contre cet assureur en droit français, au sens de l’article L.124-3 du Code des assurances français.
Allianz, en qualité d’assureur de PIP, opposera alors à la plaignante une clause limitative de garantie aux seuls dommages survenus en France. Son recours ayant été rejeté en première instance, la requérante saisira la juridiction d’appel (« Oberlandesgericht Frankfurt am Main ») qui s’interrogera sur la compatibilité d’une telle clause de limitation géographique dans la police Allianz avec l’article 18 TFUE, posant interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité (article 18 « Dans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité »).
Pas de discrimination selon la CJUE
Comme souvent en droit, tout est question de présentation ; la volonté de l’assureur de limiter le périmètre géographique de sa garantie était-il le paravent d’une discrimination fondée sur la nationalité ? Pour répondre à cette question, la CJUE usera de sa méthode habituelle de raisonnement, pointilleuse et fuyant l’ellipse.
Ainsi, sur la question de savoir si l’article 18 du TFUE avait vocation à s’appliquer au litige, la CJUE rappela que l’application de cet article supposait que soit démontrée l’hypothèse où la situation à l’origine de la discrimination invoquée relève du champ d’application du droit de l’Union.
Procédant avec méthode, la CJUE fera valoir qu’il n’existait, en droit européen, et plus spécialement dans la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 et la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985, aucune obligation pour le fabricant – donc PIP – de souscrire une assurance obligatoire (« une telle obligation d’assurance n’est pas prévue pour le fabricant de tels dispositifs »), la CJUE prenant soin de préciser que tel n’était pas le cas pour le domaine de l’assurance de responsabilité relative à la circulation des véhicules à moteurs, au sens de la directive 2009/103/CEE du 16 septembre 2009, qui oblige chaque Etat à assurer l’efficience du mécanisme de l’assurance obligatoire automobile, en couvrant les dommages causés sur le territoire d’autres états membres.
Puis la CJUE s’attachera à examiner si, faute de réglementation, il existait un lien de rattachement concret entre la situation à l’origine de la discrimination invoquée et les dispositions du traité FUE, notamment au regard de la libre circulation des personnes, des marchandises ou des services.
Constatant que, opérée en Allemagne, la requérante allemande n’avait pas fait usage de sa liberté de circulation, que s’agissant de la libre prestation de services, l’élément d’extranéité manquait puisqu’il s’agissait d’un contrat d’assurance franco-français, et qu’enfin s’agissant de la libre circulation de marchandises, si l’implant PIP avait bien circulé et été distribué en Allemagne, aucun élément caractérisant une entrave à la vente de prothèses PIP en Allemagne n’avait été observé, il en résultait que l’article 18 alinéa 1er du TFUE n’avait pas vocation à s’appliquer en l’espèce.
Dès lors, pour la CJUE, « l’article 18 premier alinéa TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne trouve pas à s’appliquer à une clause… limitant la portée géographique de la couverture d’assurance de responsabilité… des lors qu’une telle situation ne relève pas, en l’état actuel, du domaine d’application de celui-ci ». C’est donc à une lecture subtile du droit européen qu’invite la décision du 11 juin 2020.
Pas de blanc-seing accordé aux clauses de délimitation géographique de la couverture
La décision du 11 juin 2020 ne signifie pas que l’argument de la requérante était erroné, simplement qu’elle ne pouvait pas l’invoquer, au regard des directives européennes. Ainsi, si un des éléments rejetés ici sur la libre circulation, sur la libre prestation de services, ou sur la libre circulation de marchandises venait à être établi dans un autre litige, la décision de la CJUE pourrait être différente.
Cette décision de la CJUE n’est donc pas un sauf-conduit définitif quant à la validité de ce type de clauses de délimitation géographique de la garantie d’assurance, mais le constat que, au niveau européen, et dans le cas d’espèce considéré, la règle de non-discrimination liée à la nationalité de la requérante ne pouvait être invoquée. Pas moins, mais pas plus.
Cette position, consistant au fond à renvoyer à la liberté contractuelle des parties tant qu’elle existe et n’est pas contredite par l’ordre public, n’est pas si éloignée que cela de celle de la Cour de cassation qui, s’agissant de la délimitation du périmètre du risque garanti, a rappelé une règle équivalente dans un arrêt du 8 janvier 2020 (n° 18-21414 in RGDA 2020 page 30 note Landel) relatif à un accident de ressortissants français de Saint-Pierre-et-Miquelon qui s’est déroulé au Canada.
Assurés auprès d’Allianz sur Saint-Pierre-et-Miquelon, les victimes de l’accident ont constaté que la limite de garantie était de 200 000 dollars canadiens, en lieu et place des 100 M€ applicables en cas d’accident sur l’archipel.
L’assuré a soutenu dès lors que la clause était abusive, car délivrant des garanties distinctes selon la zone géographique considérée, fut-elle proche de l’accident, sous prétexte qu’elle relevait d’un territoire français ou canadien.
La Cour de cassation a refusé de qualifier la clause d’abusive au sens de l’article L.212-1 du Code de la consommation au motif qu’un juge n’avait pas à apprécier du caractère éventuellement abusif d’une clause, même limitative de garantie, dès lors qu’elle portait sur l’objet du contrat, si elle était rédigée de manière claire et compréhensible. Et de fait, conduire dans l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon n’est pas exactement identique à rouler dans le vaste nord canadien…
C’est donc dans la limite d’un ordre public, national ou international, que doit s’apprécier une clause limitative ou restrictive de garantie. Rien de nouveau sous les étoiles, certes, mais ce type de rappel est parfois nécessaire, et permet de comprendre pourquoi le droit est aussi une école d’imagination.