Absence de souscription d’une assurance obligatoire : vers l’engagement automatique de la responsabilité personnelle du dirigeant

Mardi 29 septembre 2020

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

La Cour de cassation, dans son arrêt du 9 juillet 2020 (Civ. 3e, n° 18.21.552), affirme qu’un dirigeant d’entreprise qui, en qualité de gérant, omet de souscrire une assurance obligatoire, commet une faute intentionnelle, constitutive d’une infraction pénale séparable de ses fonctions sociales. Dès lors, sa responsabilité personnelle est automatiquement engagée.

Le contentieux de la responsabilité personnelle du dirigeant social qui omet de souscrire une assurance obligatoire paraît devoir toujours prospérer, exposant l’entrepreneur à un risque patrimonial personnel dont le caractère inéluctable n’est pas sans rappeler le supplice imaginé par Edgar Allan Poe dans sa fameuse nouvelle Le Puits et le Pendule, où le funeste résultat finissait (in extremis) par s’abattre sur le malheureux narrateur.
 
La Cour de cassation, dans son arrêt du 9 juillet 2020 (Civ. 3e n° 18.21.552), si elle ne révolutionne pas la matière en rappelant qu’un dirigeant d’entreprise qui avait, en qualité de gérant,  omis de souscrire « la garantie de livraison de l’article L.231-6 du Code de la construction et de l’habitation avait commis une faute intentionnelle, constitutive d’une infraction pénale, séparable de ses fonctions sociales et engageant sa responsabilité personnelle », permet néanmoins de préciser les contours de ce risque souvent ignorés par les dirigeants sociaux.
 
Les circonstances sont d’un grand classique, traitant une fois encore des suites d’un abandon de chantier.
 
Deux particuliers entreprennent de faire construire une maison individuelle. Une première société intervient en tant que courtier de travaux. Deux autres sociétés, Mondial travaux, et MT construction, dont le gérant est Monsieur N., ont établis les devis, signés par les maîtres d’ouvrage. Ces deux sociétés abandonneront le chantier, et une société Verifimmo, nommée par la banque prêteuse, incitera les propriétaires à obtenir la communication des justificatifs de la garantie nominative de livraison à prix et délais convenus. Poursuivant ces différents intervenants en indemnisation du préjudice subi en raison de l’inachèvement des travaux, les maitres d’ouvrage obtiendront devant la cour d’appel de Douai, le 21 juin 2018, la condamnation du gérant in solidum avec son assureur.

La difficile définition de la « faute détachable de la fonction »

Sur le principe, la règle est connue et s’articule avec le fondement général qui veut que « lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales », il engagera sa responsabilité individuelle sur son propre patrimoine (Cass. Com. 20 mai 2003, n° 99-17.092).

Le plus délicat, afin de contourner le « bouclier » de la personne morale, est certainement d’aller chercher la faute sur le seul plan civil, et au regard de sa gravité d’en tirer une responsabilité du dirigeant.
 
Ainsi, récemment, la Cour de cassation dans son arrêt du 8 novembre 2018 (n° 17-16.531) a considéré que le fait pour un dirigeant d’exercer « une justice privée » caractérisait une faute personnelle séparable de ses fonctions de gérant, faute « d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice de ses fonctions sociales ».
 
Mais l’exercice se heurte parfois à la difficulté à prouver la faute ; ainsi si l’organisation d’une insolvabilité de l’entreprise peut relever d’une faute détachable du dirigeant social, encore faut-il démontrer cette faute, et non pas simplement l’affirmer (Com. 5 février 2020, n° 18-19.044).
 
Le biais le plus simple était sans doute d’articuler l’idée qu’une faute pénale d’un dirigeant constitue nécessairement une faute détachable des fonctions, engageant sa responsabilité civile.
 
C’est tout naturellement par le biais de l’assurance construction, terre d’élection des assurances obligatoires, que cette responsabilité du dirigeant a rencontré les règles rigoureuses du droit de la construction et notamment le principe fondateur de l’article L.241-1 du Code des assurances, posant l’obligation d’assurance de responsabilité décennale, elle-même assortie au sens de l’article L.243-3 du Code des assurances d’une sanction lourde de six mois d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
 
Plusieurs arrêts seront rapidement rendus sur l’hypothèse d’une absence d’assurance obligatoire en matière de construction, notamment deux arrêts du 18 mai 2010 (n° 09-66.172) mais encore du 28 septembre 2010 (n° 09-66.255) posant que l’ouverture d’un chantier, sans assurance de responsabilité décennale des constructeurs établie, était de nature à entraîner la responsabilité personnelle du dirigeant.
 
Cette tendance sera confirmée, toujours en matière de construction, par deux arrêts de la 3e chambre civile du 11 janvier 2012 (n° 10-20.633) mais encore de la chambre commerciale du 9 décembre 2014 (n° 13-26.298), celle-ci affirmant le principe qui sera repris par l’arrêt du 27 mai 2015 selon lequel « le gérant d’une société à responsabilité limitée qui commet une faute constitutive d’une infraction pénale intentionnelle, séparable comme telle de ses fonctions sociales, engage sa responsabilité civile à l’égard des tiers à qui cette faute a porté préjudice ».
 
Cette jurisprudence a été confirmée à de nombreuses reprises et n’a guère évolué ces dernières années, si ce n’est par le ralliement de la troisième chambre civile de la Cour de cassation à la position des chambres criminelle et commerciale, pour qui l’infraction pénale de l’article L.243-3 du Code des assurances, dès lors qu’elle est constituée entraîne automatiquement la qualification d’une « faute détachable de ses fonctions » du dirigeant social.

L’abandon de l’approche casuistique 

La Cour de cassation procède en ce sens à une assimilation entre la faute pénale et la « faute détachable des fonctions » (Cour de cassation, 3e civ., 10 mars 2016, n° 14-15.326), à rebours de son mouvement d’autonomisation des fautes civiles et pénales en d’autres domaines. La troisième chambre civile procédait jusque-là à une analyse casuistique, afin de déterminer si le défaut de souscription de l’assurance obligatoire par le dirigeant était de nature ou non à être qualifiée de « faute détachable ».

Cette approche est donc abandonnée, comme le confirme l’arrêt commenté, la responsabilité personnelle du dirigeant est engagée de façon automatique, dès lors que celui-ci manque aux dispositions légales, ici celles de l’article L.231-6 du Code de la construction et de l’habitation.

Cette position est particulièrement sévère en ce qu’elle ne prend aucunement en compte les subjectivités de chaque espèce et qu’elle ne distingue pas entre les dirigeants mal renseignés et les non diligents par exemple. C’est pourquoi il existe au moins une échappatoire.

Ainsi, l’absence de validité d’une police souscrite n’équivaut pas à l’absence de souscription d’une assurance construction (Civ. 2e, 30 juin 2016, n° 15-18.639), et le fait de souscrire une assurance et de ne pas payer les primes n’est pas équivalent au fait de ne pas prendre de police. Mais autrement, la règle semble bien acquise.
 
C’est pourquoi l’argument que tentait d’opposer le gérant condamné dans l’arrêt du 9 juillet 2020 – qui faisait valoir qu’il n’avait pas été démontré qu’il ait participé à titre personnel au défaut de souscription de la garantie (la faute personnelle « suppose la constatation de faits personnellement commis par le gérant »), n’avait donc aucune chance de prospérer, puisque le simple fait que la garantie de livraison de l’article L.231-6 du Code de la construction et de l’habitation n’ait pas été obtenue suffisait à engager sa responsabilité personnelle.
 
Une dernière remarque toutefois : le raisonnement peut facilement être étendu à d’autres assurances obligatoires, assorties de sanctions pénales en cas de non-souscription. Le problème est en fait lié à la politique légale française où le constat est clair : la France est le leader européen du nombre d’assurances obligatoires.
 
Depuis plusieurs années, il n’existe aucun récapitulatif officiel de l’ensemble de ces assurances obligatoires dans le Code des assurances, ni même sur le site du ministère de l’Economie et des Finances.
 
La dernière tentative de recensement de l’ensemble de ces assurances obligatoires avait été l’objet d’un travail spontané du ministère de l’Economie et des Finances, datant de 2008, et qui avait établi une liste d’une centaine d’assurances environ couvrant les domaines les plus larges du transport, de la santé, de l’habitat et de la construction, des sports, des loisirs et de la culture, de l’enseignement, de la formation et du travail, mais encore des activités industrielles, agricoles, économiques et financières… (certaines éditions du Code des assurances publient toujours cette liste en annexe).
 
Toutefois, cet inventaire à la Prévert date de 2008 et depuis lors, l’ingénierie législative a continué à fonctionner à plein, puisque la doctrine évoque à ce jour plus de 130 assurances obligatoires applicables en France, sans que personne ne semble pouvoir les répertorier intégralement. C’est donc plus de 130 hypothèses où, pour protéger le dirigeant, il va falloir vérifier activité par activité que l’assurance a bien été souscrite.
 
L’assurance D&O a donc de beaux jours devant elle au regard d’un risque largement ignoré et pourtant majeur.