Résidences de tourisme : les investisseurs dans la tourmente

Mardi 16 février 2021

Article de Valérie VALIN-STEIN citant Maître Benjamin CABAGNO, responsable du département Droit des Investissements Immobiliers et Droit du Sport, pour Le Particulier

Ils pensaient avoir réalisé un placement sûr et rentable,
mais ils ne perçoivent plus de loyers depuis plusieurs
mois. Les propriétaires bailleurs des résidences de
tourisme et d’affaires prennent de plein fouet la crise
sanitaire.

Ce n’est un secret pour personne : le secteur du tourisme subit les conséquences de la pandémie. Depuis le printemps 2020, de nombreux exploitants de villages de vacances ou de résidences hôtelières ont cessé de verser les loyers convenus à leurs propriétaires. Problème : ces derniers sont des particuliers, qui ont investi dans ces structures en croyant faire un placement rentable et sans risque au rendement – faussement garanti – avoisinant les 4 %. De surcroît, leur opération immobilière ouvrait droit à moult avantages fiscaux : réduction d’impôt Demessine ou Censi-Bouvard, statut de loueur en meublé non professionnel, récupération de la TVA payée sur le logement… Trop beau pour être vrai.

Aujourd’hui, certains de ces propriétaires se retrouvent avec presque un an d’arriérés de loyers ! Une situation intenable pour ceux qui ont acheté à crédit. Quelques-uns soutiennent les exploitants des résidences et font le dos rond en attendant la reprise de l’activité. D’autres pointent du doigt l’opacité des comptes et de la gestion. Ils se sont rapprochés de ténors du barreau pour exiger leur dû.

Des exploitants en sursis ?

Entre les restrictions de déplacements et les fermetures des remontées mécaniques des stations de sports d’hiver, les gestionnaires des résidences de tourisme ont toutes les raisons de faire grise mine. La situation est particulièrement délicate à la montagne. Le rebond de l’activité enregistré l’été dernier n’a pas compensé les conséquences du premier confinement (les établissements ont fermé leurs portes dès la mi-mars). Et la saison hivernale 2020-2021 s’annonce catastrophique. Faute de remontées mécaniques, de bars, de restaurants et d’espaces de détente, les exploitants s’attendent à une perte de 80 à 90 % de leur chiffre d’affaires habituel. Certains ont anticipé la désaffection des vacanciers et ont préféré ne pas ouvrir les résidences. « Celles situées dans les stations de moyenne montagne, comme Megève, où il est possible de faire du ski de fond et de la randonnée en raquettes, ont ouvert. En revanche, dans les stations d’altitude, plus spécifiquement vouées à la pratique du ski alpin, elles sont restées fermées », rapporte Patrick Labrune, président du Syndicat national des résidences de tourisme et des apparthôtels (SNRT). Fin janvier, les exploitants ont appelé les pouvoirs publics à la rescousse pour eux et pour les bailleurs.

Nos conseils

  • Regroupez-vous

Les exploitants de résidences de tourisme ont tendance à appliquer la stratégie consistant à « diviser pour mieux régner ». Pour connaître les copropriétaires de votre résidence afin d’entreprendre une action commune, rapprochez-vous du conseil syndical. S’il n’y en a pas, demandez au syndic la liste des copropriétaires. Il a l’obligation de vous la remettre.

  • Montez un collectif

Il n’est pas forcément utile de créer une association pour vous défendre efficacement, un simple collectif (regroupement informel de personnes ayant un intérêt commun) peut suffire. Désignez un « comité restreint » composé de deux ou trois interlocuteurs qui serviront de relais entre les copropriétaires et l’avocat choisi pour vous représenter.

  • Entamez une négociation

Ne dit-on pas qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ? Aidé par votre avocat, essayez toujours de trouver une solution amiable avec l’exploitant. Attention, ne vous laissez pas entraîner dans des procédures de conciliation à rallonge utilisées par certains gestionnaires pour gagner du temps.

  • Optez pour la bonne procédure

Selon que votre objectif est de percevoir les loyers dus ou de vous séparer de votre exploitant, vous ne choisirez pas la même démarche. Il pourra s’agir d’une simple injonction de payer dans le premier cas, et d’un commandement de payer assorti d’une clause résolutoire dans le second.

Loyers Impayés

Dès lors, nombre de propriétaires sont privés de revenus depuis le printemps 2020. Les loyers de mars à mai, voire juin, n’ont pas été réglés, tout comme, parfois, ceux correspondant à la période de reconfinement, à l’automne dernier. Les bailleurs reverront-ils tout ou partie de leur argent ? Rien n’est moins sûr… « Quand ils n’imposent pas un abandon pur et simple des loyers, les exploitants des résidences mettent en place une clause dite de “retour à meilleure fortune”, dénonce l’avocat parisien Benjamin Cabagno. On propose aux propriétaires de récupérer la moitié des loyers non perçus si le chiffre d’affaires de 2022 et de 2023 augmente sensiblement par rapport à celui de 2019, qui, rappelons-le, était une excellente année. » Autant dire que cette condition a peu de chances de s’appliquer… Dans le groupe Pierre & Vacances, leader du secteur, la clause de retour à meilleure fortune s’assortit de la prolongation du bail d’une année. Son concurrent, Goélia, a offert aux bailleurs des semaines supplémentaires de mise à disposition de leur logement (en dehors de la haute saison). Selon les exploitants des résidences de tourisme, les propriétaires ont majoritairement adhéré à ces propositions. Quant aux doutes émis sur leur capacité à rembourser les loyers, grâce à une hypothétique augmentation du chiffre d’affaires de résidences qui, jusqu’à présent, fonctionnaient déjà correctement, les gestionnaires les balaient d’un revers de manche. « Il y a l’inflation naturelle des loyers. De plus, certaines de nos résidences vont être rénovées. Enfin, il nous reste des parts de marché à conquérir, notamment à la montagne l’été», assure Dominique Ménigault, directeur général de Pierre & Vacances conseil immobilier.

Dans les résidences spécialisées dans le tourisme d’affaires, les exploitants ont préféré mettre en oeuvre une clause recettes, plus favorable aux investisseurs. « Les propriétaires ont refusé l’abandon de créances, ce que nous pouvons comprendre. Nous sommes alors convenus d’un accord sur un remboursement progressif des loyers sur 3 ans. Ces derniers comporteront une partie fixe et une autre variable, dépendante du chiffre d’affaires », explique Yannick Auré, président du groupe Exhore, qui gère les résidences Cerise (à Chalon-sur-Saône, Nantes, Valence, Strasbourg…).

Les 3 étapes de l’investissement dans une résidence de tourisme

1) Achat d’un appartement dans une résidence neuve

  • Remboursement de la TVA (20 %) payée sur le logement. Cela implique de louer le bien avec un bail commercial pendant 20 ans au moins.

2) Location meublée au moins 9 ans

  • Signature d’un bail commercial d’une durée minimale de 9 ans avec l’exploitant de la résidence.
  • Loyer garanti.
  • Participation à certaines dépenses déductibles des revenus (taxe foncière et grosses réparations, notamment).

3) À l’échéance du bail

  • Renouvellement aux mêmes conditions (renouvellement tacite) ou à de nouvelles conditions, souvent moins avantageuses (baisse des loyers, notamment).
  • Non-renouvellement remboursement de la TVA récupérée prorata temporis (par exemple, 50 % si vous cessez de louer au bout de 10 ans) et versement d’indemnités d’éviction à l’exploitant de la résidence.

Des particuliers étranglés

Les propriétaires qui ont investi à crédit dans ces établissements touristiques se retrouvent parfois en grande difficulté. Certains seraient même sur le point de vendre leur résidence principale pour faire face à leurs échéances. Et ce, malgré les aménagements négociés par le SNRT auprès des banques. « Nous avons obtenu de la Fédération bancaire française une lettre de recommandation qui demande aux banques d’examiner avec bienveillance la situation individuelle de leurs clients ayant investi dans des résidences de tourisme, affirme Patrick Labrune. Seulement 5 % des propriétaires se sont prévalus de ce courrier et l’accueil des banques semble avoir été favorable. » Un constat réfuté par Christine Lorenzini, présidente de la Fédération nationale des associations de propriétaires en résidences de tourisme et résidences gérées (FNAPRT). « Peu d’établissements bancaires ont accepté un report des mensualités, déclare-t-elle. Et lorsqu’ils l’ont fait, ils l’ont facturé au prix fort, de 700 à 800 €. »

Les résidences d’affaires en péril ?

Si la situation est difficile pour les résidences de vacances, elle l’est plus pour celles spécialisées dans le tourisme d’affaires. Situées dans les grandes villes, elles accueillent des salariés en déplacement professionnel. Pendant les confinements, les établissements restés ouverts ont parfois réussi à tirer leur épingle du jeu en hébergeant des ouvriers du bâtiment et des personnes en situation précaire logées par les municipalités. En revanche, elles n’ont pas connu de rebond pendant l’été, saison peu propice au tourisme d’affaires. L’avenir est d’autant plus incertain que la crise pourrait modifier durablement la façon de travailler des entreprises, avec moins de déplacements et davantage de visioconférences.

De nombreux griefs

Si, lors du premier confinement, près de 90 % des bailleurs se sont montrés solidaires de leurs locataires, la situation semble aujourd’hui plus contrastée, selon le SNRT. Certains propriétaires se regroupent en comité ou en association et entendent récupérer ce qui leur revient. Quitte à aller en justice.

Il est vrai que leurs griefs sont nombreux. Déjà, ils ne comprennent pas pourquoi toutes les résidences sont logées à la même enseigne. « Nos loyers correspondant à la période du premier confinement [du 17 mars au 10 mai 2020, Ndlr] n’ont pas été versés. C’est incompréhensible, s’emporte Jean-Claude Libert, propriétaire à La Plagne. Il relève que la résidence n’est pourtant jamais ouverte à cette période, ce qui n’empêchait pas les investisseurs de percevoir des loyers les années précédentes. L’inverse s’est également produit. « Alors que leur résidence n’a pas cessé de fonctionner, certains investisseurs se retrouvent avec 10 mois d’impayés », constate l’avocat Benjamin Cabagno.

Cette mutualisation, qui permet à l’exploitant d’équilibrer des résidences inégalement rentables entre elles, est plus sécurisante pour les bailleurs. On l’a vu, il y a quelques années, avec la faillite de Quiétude, un exploitant qui fonctionnait avec une structure juridique (SCI et Sarl d’exploitation) par résidence. Cette dernière formule autorise des arbitrages rapides (règlement ou liquidation judiciaire), qui ne contaminent pas le reste du groupe. Mais la mutualisation n’empêche pas la transparence : les exploitants doivent tenir des comptes d’exploitation distincts pour chaque résidence et les communiquer aux propriétaires qui en font la demande. Une fois par an, ils sont tenus de leur présenter un bilan de l’année écoulée, précisant les taux de remplissage, les événements significatifs, le montant et l’évolution des principaux postes de dépenses et de recettes. Ceux qui se soustraient à cette obligation peuvent y être contraints par la justice. Appart’City en a fait l’expérience en 2017 (cass. civ. 3e du 19.10.17, n° 16-21460).

Certains exploitants, à l’instar d’Exhore, ont versé aux bailleurs les loyers correspondant au fonctionnement réel de chaque établissement. « Les propriétaires ont touché entre 40 et 60 % de leurs loyers en 2020. Ceux de la résidence Cerise de Valence ont même perçu l’intégralité de leurs revenus », témoigne Yannick Auré.

Montagne : les exploitants en appellent à l’état

Avec la mise à l’arrêt des remontées mécaniques depuis l’automne et un reconfinement pendant les congés de février, les exploitants s’attendent à une saison d’hiver blanche ou plutôt… noire. Selon le syndicat national des résidences de tourisme (SNRT), qui regroupe les poids lourds du secteur (CGH, Goélia, Pierre & Vacances…), les pertes atteindraient 300 M€. Un montant qui fait craindre des dépôts de bilan, préjudiciables aux bailleurs, mais aussi à l’économie de montagne. « Nos résidences assurent 37 % de la fréquentation des stations », note Patrick Labrune, président du SNRT. Il s’est rapproché des pouvoirs publics pour réclamer une aide spécifique. « Celles obtenues sont notoirement insuffisantes. Nous demandons une subvention représentant 70 % des charges fixes [seuil maximal fixé par l’UE, NDLR]. Cela nous permettra d’assumer une grande partie des loyers et de maintenir l’activité », explique M. Labrune. Un dossier suivi de près par Matignon.

L’utilisation des aides en question

Un autre grief des propriétaires porte sur les mesures de soutien au secteur touristique dont ont pu bénéficier les exploitants. Elles n’ont pas toujours été utilisées pour régler les loyers impayés. « Un groupe gérant des résidences d’affaires a reçu 33 millions d’euros d’aide de l’État pour le premier confinement. Il devait alors 18 millions d’euros de loyers aux propriétaires. Il a accordé un demi-mois de loyer à chacun d’entre eux », déplore Benjamin Cabagno. L’avocat se demande par ailleurs ce qu’il est advenu des sommes versées au titre de l’assurance perte d’exploitation souscrite par de nombreux gestionnaires de structures touristiques. Interrogés, ces derniers se défendent. « L’essentiel des sommes reçues ne sont pas des aides mais des prêts qu’il faut rembourser. De plus, même fermée, une résidence engendre de nombreux frais : gardiennage, maintien hors gel des locaux, maintenance des équipements. Enfin, les assureurs n’ont rien versé, estimant qu’une pandémie ne faisait pas partie des risques couverts », soutient Patrick Labrune. Ces arguments peinent à convaincre les propriétaires.

« Les gestionnaires se sont engouffrés dans la crise de la Covid pour cesser de verser les loyers », constate Ganaëlle Soussens, avocate à Paris. « Juridiquement, ils sont tenus de les payer et ne peuvent pas modifier le contrat unilatéralement », assure Jacques Gobert, avocat à Marseille. Pour justifier le non-versement des loyers, ils invoquent, pêle-mêle, l’exception d’inexécution, la force majeure et le fait du prince. Des arguments jugés irrecevables par la cour d’appel de Grenoble dans un arrêt du 5 novembre 2020. « L’exception d’inexécution n’est pas applicable, car c’est l’activité qui a pu éventuellement être interdite, l’immeuble n’était pas visé. Concernant la force majeure, les exploitants n’ont pas été en mesure de prouver qu’ils étaient dans l’incapacité financière de respecter leurs obligations. Enfin, le fait du prince ne peut pas être invoqué pour des rapports privatifs », explique Jacques Gobert.

Les loyers servent de variable d’ajustement. Bertrand de Campredon, Avocat associé au cabinet Goethe, Paris.

« Les résidences gérées sont décidément le seul secteur d’activité où les locataires, que sont les exploitants, résolvent tous leurs problèmes en ne payant plus. Ailleurs, ils essaieraient de recapitaliser ou de faire des économies, mais pas là ! Cela s’est encore confirmé avec la crise sanitaire : les exploitants ont immédiatement eu le réflexe – naturel pour eux – de ne plus verser les loyers. Ils justifient cet arrêt en envoyant un courrier de quelques lignes aux propriétaires particuliers, sans même présenter de comptes d’exploitation et en invoquant des arguments juridiques fallacieux. Depuis des années, les bailleurs et leurs loyers servent, systématiquement, de variables d’ajustement.»

Des litiges parmi tant d’autres

En réalité, la crise sanitaire n’a fait que remettre sur le devant de la scène les dissensions récurrentes entre exploitants et propriétaires. « Les litiges n’ont jamais cessé. Ils portent principalement sur les modalités de renouvellement des baux », souligne Me Soussens. Depuis la loi Novelli, ceux des résidences de tourisme doivent être signés, au moins, pour 9 ans. Durant cette période, l’exploitant n’a pas le droit de donner congé ni de diminuer le loyer. Passé les 9 ans, le bail peut être renouvelé tacitement ou remis à plat. Le gestionnaire en profite souvent pour réclamer des baisses de loyer atteignant jusqu’à 50 %. Il lui arrive aussi de mettre à la charge du bailleur des frais qui jusqu’ici ne lui incombaient pas. « On m’a demandé 3 000 € pour repeindre mon deux pièces. Lorsque je me suis rendue sur place, les travaux n’avaient pas été réalisés. On m’a rétorqué qu’il s’agissait d’une provision », raconte Agnès, propriétaire dans le Périgord. En contrepartie des efforts demandés, l’exploitant peut proposer de prendre en charge les gros travaux dits de « l’article 606 du code civil ». Un marché de dupes, selon Me Soussens. « Cette clause est illicite, l’exploitant s’arrangera pour qu’elle ne soit pas appliquée », prévient-elle. Enfin, certains investisseurs tournent autour de propriétaires étranglés et se proposent de racheter leur bien à prix cassé. « Ils recherchent des rendements de 6 ou 7 %. Pour satisfaire ces exigences, je dois vendre à 35 000 €, un appartement payé 132 000 € hors taxes il y a 16 ans », confie Agnès. Une pilule bien amère.