La clause d’exclusion doit être débattue avant d’être appliquée par le juge

Mardi 16 février 2021

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

Le juge peut-il soulever d’office, sans réouverture des débats, une clause d’exclusion ? La réponse vient d’être rendue par la Cour de cassation dans un arrêt de la première chambre civile du 17 décembre 2020 (n° 19-21.191), qui invite les juges du fond qui souhaitent appliquer d’office une clause d’exclusion à en informer préalablement les parties afin qu’elles puissent présenter leurs observations.

Parce que le jeu d‘une clause d‘exclusion peut changer du tout au tout un litige en droit des assurances, la question de savoir si le juge peut la soulever d’office, sans réouverture des débats, se pose parfois, notamment dans des « petits » litiges où les parties ne sont pas allées au bout de l’argumentaire juridique. La réponse, logique, vient d’être rendue par la Cour de cassation dans un arrêt de la première chambre civile du 17 décembre 2020 (n° 19-21191) qui invite les juges du fond qui souhaitent appliquer d’office une clause d’exclusion à en informer préalablement les parties, afin qu’elles puissent présenter leurs observations.

L’arrêt, assez lapidaire, a été rendu au visa de l’article 16 du Code de procédure civile qui dispose que :

« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »

Une jurisprudence innombrable rappelle à quel point cet article est fondateur dans un Etat de Droit – à quoi bon avoir un accès au juge si on est condamné sur des moyens de droit que l’on n’a pu débattre de façon contradictoire ?

C’est pourquoi, quand une juridiction entend soulever d’office un moyen de droit, elle doit s’assurer de faire respecter le principe de la contradiction en invitant les parties à s’expliquer sur celui-ci (parmi une jurisprudence innombrable, voir Civ. 1re 27 juin 2006 Bull. I, n° 332 ; Civ. 1re 8 avril 2009 Bull. I, n° 79).

La cassation dans notre espèce était donc inévitable, ce d’autant plus que l’assuré avait largement à dire sur la validité même de la clause d’exclusion.

Les faits

Soit un Monsieur M, propriétaire d’une motocyclette et assuré auprès de la société GFA Caraïbes, assuré qui sera victime le 22 mai 2013 d’un accident de la circulation.

L’assuré sollicitera alors la prise en charge de son sinistre, mais l’assureur lui opposera rapidement ses déclarations initiales dans son adhésion et notamment le fait que Monsieur M a déclaré respecter « les règlements en vigueur pour la conduite des véhicules à moteur, et (être) titulaire d’un permis de conduire en cours de validité » alors qu’il n’était pas titulaire de l’attestation de formation exigée pour la conduite d’un cyclomoteur de 125 cm3.

Mais ce moyen sera finalement écarté par la cour d’Appel de Basse-Terre du 29 avril 2019, au motif qu’il n’était pas établi une fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, faute de démontrer que l’assuré savait qu’il devait suivre une formation à la conduite de son véhicule.

Par contre, la cour d’appel de Basse-Terre va s’emparer d’une clause d’exclusion, valable dans cette matière au sens de l’article R.211-10 du Code des assurances (« Le contrat d’assurance peut, sans qu’il soit contrevenu aux dispositions de l’article L.211-1 comporter des clauses prévoyant une exclusion de garantie dans les cas suivants…1° Lorsque au moment du sinistre, le conducteur n’a pas l’âge requis ou ne possède pas les certificats, en état de validité, exigés par la réglementation en vigueur pour la conduite du véhicule »), pour refuser la garantie à l’assuré, au motif que les conditions générales de la police GFA Caraïbes contenaient bien cette clause d’exclusion.

Le problème étant que l’invocation et l’utilisation de cette clause ne seront pas soumis au contradictoire des parties, alors même qu’il existait un débat sur le formalisme de la clause.

En effet, est une chose que le droit à faire figurer la clause d’exclusion dans ce type d’assurance obligatoire (R.211-10 du Code des assurances), mais en est une autre de savoir si une telle clause respecte le formalisme de l’article L.112-4 du Code des assurances qui impose que la clause d’exclusion figure en caractères « très apparents » dans la police.

Car si on n’a toujours pas de définition légale de la clause d’exclusion dans le Code des assurances, on sait qu’indépendamment de son caractère « formel et limité » au sens de l’article L.113-1 du Code des assurances, elle doit être visible, prima facie, au lecteur souvent profane qu’est l’assuré.

Pour la jurisprudence, des caractères « très apparents » cela signifie pratiquement que la clause d’exclusion ne doit pas pouvoir échapper à l’attention de l’assuré, obligation s’exprimant :

  • de façon positive, en ce sens que la clause doit immédiatement attirer l’attention de l’assuré,
  • de façon négative, en ce sens que son attention ne doit pas être distraite par une clause imperceptible ou confuse, à proximité, qui l’empêche de comprendre, à première lecture, qu’il s’agit d’une exclusion claire,

Cela explique pourquoi le fait d’avoir des polices de caractères différentes ne suffit pas à faire respecter l’article L.112-4 du Code des assurances.

La solution de la Cour de cassation

Ainsi la Cour de cassation a neutralisé :

  • une exclusion mentionnée en caractères pourtant très apparents dans une rubrique intitulée « exclusion » rédigée elle en caractères ordinaires (Civ. 1re 25 mars 1991, RGAT 1991 page 559),
  • une exclusion imprimée en caractères gras à côté d’autres clauses d’exclusions imprimées en caractères rouges (Civ. 1re du 1er décembre 1998, RGDA 1999 page 99).

Le moyen exprimé par l’assuré dans son pourvoi avait donc du sens car il permettait d’écarter la clause d’exclusion, et ladite clause aurait donc dû faire l’objet d’un débat contradictoire. La cassation était dès lors inévitable, ce d’autant plus que dans certains autres domaines de l’assurance la Cour de cassation veille scrupuleusement à ce respect du contradictoire.

Ainsi, par exemple, on rappellera le sort fait aux expertises non judiciaires et non contradictoires par la 2e chambre civile de la Cour de cassation. Comme le rappelle Romain Schulz (sous son commentaire de l’arrêt du 14 décembre 2017 n° 16-24305 in RGDA 2018 p. 125), la Cour de cassation veille ainsi strictement au respect du contradictoire dans le cadre des expertises privées que les parties se communiquent dans les litiges depuis un arrêt de la chambre mixte de 2012 (« Si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties » n° 11-18710), règle désormais systématiquement suivie par toutes les chambres civiles et commerciale (Cass. 2e civ., 25 juin 2015, n° 14-20018 ; Cass. 2e civ., 19 nov. 2015, n° 14-19303 et Com., 29 janvier 2013 n° 11-28205).

Comment aurait-il pu en être autrement sur le jeu d’une simple clause d’exclusion, dont dépend si souvent le litige en son entier ? Le contradictoire est bien le pilier central du respect du débat processuel, et l’office du juge l’oblige à laisser les parties débattre contradictoirement du contenu et des exceptions à leur contrat, en bien ou en mal, avec talent ou sans, avec pertinence ou pas, mais sans pouvoir se substituer à elles. Le procès reste décidemment, et conformément à l’adage, la « chose des parties ».