Mardi 16 mars 2021
Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur
Un vin dégradé mais sans danger pour le consommateur est-il un vin altéré ? C’est tout l’enjeu de l’arrêt du 9 décembre 2020 (n° 19-17.724) rendu par la Cour de cassation et publié au Bulletin.
Les circonstances de l’espèce, très particulières, expliquent cette décision qui peut sembler d’évidence, mais avait été écartée par l’arrêt de la cour de Dijon du 2 avril 2019, arrêt cassé pour violation de la loi, ce qui est un indicateur toujours pertinent de l’importance qu’attache la Cour de cassation à la règle rappelée.
En l’espèce, la société du Domaine du Moulin à l’Or va confier pour traitement l’ensemble de ses vins millésimés 2014 à la société Filtration services pour la filtration (opération destinée à améliorer la brillance du vin), le dégazage (qui permet d’améliorer l’arôme) et l’électrodialyse (afin de retirer les ions du vin), toutes opérations destinées à renforcer le goût, la présentation et le rendu du produit final.
Filtration services contactera un sous-traitant, la société Eurodia, pour la préparation de l’appareil d’électrodialyse, et lui remettra de l’acide nitrique et de la lessive de soude, achetés par elle auprès d’un vendeur, la société Le Goff – assurée chez AIG – et fabriqués par une société Brenntag, le producteur – assurée chez Generali.
On constatera, à la fin des opérations, une pollution des vins provoquant des désordres organoleptiques, soit une altération du goût du vin, désormais bouchonné.
Les sociétés Domaine du Moulin à l’Or et Filtration services ont alors assigné le vendeur et le producteur, outre leurs assureurs respectifs.
La cour de Dijon, au dernier état, rejettera les demandes en faisant valoir notamment que, au regard de l’article 1386-4 du Code civil, devenu 1245-3 du Code civil, « les produits litigieux ne sauraient être considérés comme défectueux dés lors qu’aucun danger anormal et excessif caractérisant un défaut de sécurité des produits n’est établi ».
En clair, la législation sur les produit défectueux ne pouvait selon les juges du fond être invoquée, faute de réel risque de sécurité des produits vendus, peu important qu’ils donnent au final un gout dégradé au vin (millésimé).
Le raisonnement de la Cour de cassation
La censure était logique, au vu du texte même de l’article 1245-3 du Code civil qui dispose que : « Un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation. Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu’un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation. »
L’erreur de la cour de Dijon avait été de raisonner en simple terme de sécurité entendue au sens strict, au sens de l’alinéa 1er de l’article 1245-3 du Code civil, alors que comme le rappellera la Cour de cassation à l’appui de sa censure, l’alinéa 2 de l’article 1245-3 du Code civil imposait de tenir compte des « circonstances » mais encore de raisonner en terme « d’usage du produit », imposant une utilisation des produits chimiques vendus n’entraînant pas un vin dégradé, même si buvable et sans danger.
En d’autres termes, les produits défectueux achetés le sont parce que, même sans danger pour le consommateur, ils ne permettent pas la sécurité attendue dans le traitement du vin, entraînant le désagréable goût de bouchon.
Autrement exprimé, les produits défectueux n’auraient pas dû avoir pour effet d’affecter la qualité des vins, et cette simple dégradation permet l’application du régime de responsabilité des produits défectueux.
Deuxième enseignement de l’arrêt, tiré de l’article 1386-2 du Code civil, devenu 1245-1 du Code civil, et qui dispose que :
« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne. Elles s’appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même. »
Renforçant son argumentaire, la cour de Dijon avait également posé que si l’utilisation de produits chimiques avaient altéré le goût du vin, « les produits litigieux ne sauraient être considérés comme défectueux dés lors que la pollution des vins n’est pas de nature à nuire à la santé des consommateurs ni à leur intégrité ».
Certes, mais le problème n’était pas là, comme le rappellera justement la Cour de cassation, puisque la cour d’appel avait elle-même constaté « une altération des vins consécutive à leur pollution par les produits » défaillants.
C’était reconnaître qu’il y avait altération du vin, même consommable, ce qui suffit pour engager la responsabilité du producteur, sans que la sécurité physique du consommateur final du vin ne soit engagée.
A noter que cette question avait déjà été tranchée, toujours en matière de vin, par un arrêt du 1er juillet 2015 (n° 14-18.391), qui retenait que la présence de débris de verre au sein des bouteilles correspondait bien à l’atteinte au produit final – en l’occurrence le vin – autre que le produit défectueux lui-même.
C’est donc un rappel salutaire que fait la Cour de cassation quant au régime de la responsabilité des produits défectueux, souvent mal maîtrisé par les praticiens, alors que la Haute juridiction a une approche large du dommage réparable, et donc en creux de la responsabilité du producteur.
Et puis, un arrêt de cassation, publié au Bulletin, pour rappeler qu’une piquette bouchonnée n’est pas un vin millésimé, n’est-ce pas là l’essentiel ?