Prescription biennale : le délai court à compter de l’action d’un tiers (Analyse)

Mercredi 24 mars 2021

Article de Maître Domitille FLAGEUL, Avocate

Si par principe les actions qui dérivent du contrat d’assurance se prescrivent par deux ans à compter de l’évènement qui y donne naissance, la règle spéciale édictée au troisième alinéa de l’article L.114-1 du code des assurances pose comme point de départ de la prescription l’action d’un tiers contre l’assuré. Tel est l’enseignement rappelé par la Cour de cassation dans son arrêt du 17 décembre 2020 (n°19-19.272). Une analyse de Domitille FLAGEUL Avocat à la Cour, au sein du Cabinet CHOISEZ & ASSOCIES.

Des faits classiques

Un dirigeant de sociétés est placé en règlement judiciaire (aujourd’hui connu sous le nom de redressement judiciaire) le 7 mai 1974 et un concordat par abandon d’actifs (ou plan de redressement) est homologué par le Tribunal le 19 juillet 1994.

Un commissaire à l’exécution est ensuite désigné afin de veiller à l’exécution du plan avant qu’il ne soit suspendu de ses fonctions pour détournements de fonds en 1998. 

Le 20 octobre 1998, un administrateur provisoire est désigné et déclare à la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (la Caisse) un sinistre pour non-représentation des fonds concernant l’étude du commissaire à l’exécution.

La Caisse de garantie, en vertu de l’article L.814-3 alinéa 7 du code de commerce, dans sa version applicable au litige, a en effet pour objet de garantir le remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus ou gérés par les administrateurs et mandataires judiciaire, à l’occasion des opérations dont ils sont chargés à raison de leurs fonctions.

C’est dans ces conditions que le 25 avril 2002, le dirigeant, objet des procédures collectives, entre autres, assigne la Caisse de garantie en remboursement des détournements des fonds.

Le 31 octobre 2002, soit 6 mois plus tard, la Caisse assigne en garantie l’assureur auprès duquel elle a souscrit une police d’assurance de seconde ligne au titre de la non-représentation des fonds.

L’assureur, condamné à verser près de 765 000 euros à la Caisse de garantie, se pourvoit en cassation et oppose la prescription de l’action sur le fondement de l’article L.114-1 alinéa 1er du code des assurances aux motifs que la prescription commence à courir à compter du jour de la révélation du sinistre, soit le 20 octobre 1998. Pour l’assureur, l’action est donc prescrite depuis le 20 octobre 2000.    

La décision

Pour autant, la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’assureur et déclare recevable comme non prescrit l’appel en garantie de la Caisse de garantie au visa de l’article L.114-1 alinéa 3 du code des assurances. Pour la Haute Juridiction, le tiers lésé ayant assigné en garantie la Caisse le 25 avril 2002, et celle-ci son assureur en octobre 2002, son action ne peut être déclarée prescrite.

Le commentaire

L’analyse qui ressort de l’examen de cet arrêt est d’un classique éprouvé (Civ. 1re, 21 nov. 2000, n° 98-12.481 ; Civ. 3e, 13 févr. 2013, n° 11-28.810 ; Civ. 2e, 7 févr. 2019, n° 18-11.939,) mais étendu aux assurances pour compte : la Caisse de garantie ayant eu connaissance du détournement des fonds dès 1998, il était loisible de penser que le pourvoi de l’assureur avait des chances de prospérer sur le fondement de l’article L.114-1 alinéa 1er.   

Toutefois, la référence à l’alinéa 3 de ce texte, opéré d’office par la Cour de cassation, a coupé court à toute discussion sur le point de départ de la prescription : le délai court à compter de l’action d’un tiers. On reste surpris que l’assuré n’ait pas songé à invoquer plus tôt une règle aussi classique et intelligible du droit des assurances. En somme, la prescription biennale n’a toujours pas fini de faire parler d’elle… !