Transaction et assurance : du danger de signer trop rapidement une attestation

Mardi 30 mars 2021

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

Tout document signé par l’assuré, mais pas par l’assureur, et arguant d’une renonciation, peut constituer en droit des assurances une transaction opposable. C’est le principal enseignement de l’arrêt du 21 janvier 2021 (Civ. 2e n° 19-20.724) qui, s’il n’est pas publié au Bulletin, invite tout assuré à surveiller de près la rédaction des documents émanant de l‘assureur.

En l’espèce, un banque va conclure avec un assureur vie, les AGF, un contrat collectif emprunteur garantissant classiquement les risques d’incapacité, d’invalidité, de décès et de perte d’emploi, contrat qui sera résilié à effet du 31 décembre 1994, et remplacé par un second contrat collectif conclu auprès d’une mutuelle, la MNCAP.

En janvier 1991, sous l’empire du premier contrat collectif des AGF, un couple d’emprunteurs va mettre en place auprès de la banque souscriptrice un emprunt personnel, assuré au titre du premier contrat groupe. Un premier sinistre sera pris en charge par les AGF de février 1991 à juillet 1991. Puis l’assurée va être classée, en juin 1992, en deuxième catégorie d’invalidité au sens de la Sécurité sociale, après avoir bénéficié en 1991 d’une mesure de curatelle qui ne sera levée qu’en 1997. Suivant courrier du 29 juin 1997, l’assurée adressera une nouvelle déclaration de sinistre, avec un certificat médical datant de 1996, qui sera refusée tant par les AGF que par la MNCAP. Les emprunteurs ayant cessé de payer les échéances du prêt, la banque notifiera la déchéance du terme et engagera la vente sur saisie immobilière de la maison des emprunteurs qui interviendra en 2004. A la suite d’une demande de réexamen du dossier, les AGF, suivant la lettre du 16 mai 2007, accepteront de prendre en charge le sinistre pour une période courant d’octobre 1996 à août 2004.

L’assurée signera alors une attestation du 3 septembre 2007 « par laquelle elle reconnaissait avoir reçu cette somme en règlement pour solde de tout compte » et que « ce règlement mettait un terme irrévocable et définitif à leur relation contractuelle ».

Les emprunteurs décidaient pourtant en 2015 de rechercher la responsabilité des AGF et de la MNCAP, du fait de la vente de leur domicile, car ils considéraient que l’attestation du 3 septembre 2007 n’était signée que de leur côté, ce qui ôtait le caractère de transaction à l’attestation, mais la cour d’appel de Paris déclarera le 14 mai 2019 leurs demandes irrecevables, et notamment concernant les AGF, du fait de la mise en place d’un accord transactionnel via l’attestation du 3 septembre 2007.

En d’autres termes, et au regard d’un simple règlement amiable de l’assureur, la signature d’une attestation comprenant des clauses types de renonciation à agir vaut-elle transaction ?

Le raisonnement de la Cour de cassation

Historiquement, la transaction est un contrat issu du Code civil de 1804, librement négocié par les parties, destiné à régler de façon non conflictuelle un litige, hors de la vue des tribunaux, le régime ayant à peine été « toiletté » par la réforme du droit des obligations de 2016 qui l’a maintenu dans ses grandes lignes.

Extrêmement usité en droit des assurances, il est d’usage dans la pratique de signer un « accord transactionnel » qui peut faussement laisser croire que ce formalisme imposant une double signature est indissociable de l’existence et de la validité de la transaction (les rédacteurs de transactions imposant aux signataires des lignes du style « bon pour transaction, bon pour renonciation, bon pour désistement d’instance et d’action » etc…).

Et puisque, dans l’espèce commentée, l’attestation du 3 septembre 2007 n’était signée que par l’assurée, celle-ci contestait la qualification de transaction, faute de signature de l’assureur.

C’est une erreur, car la Cour de cassation rappelle de loin en loin que « l’écrit prévu par l’article 2044 du Code civil n’est pas exigé pour la validité du contrat de transaction dont l’existence peut être établie selon les modes de preuve prévus en matière de contrats » (Civ. 1re du 18 mars 1986 n° 84-16817).

Et c’est exactement ce que va opposer la Cour de cassation dans son arrêt du 21 janvier 2021, en précisant que « l’écrit prévu par l’article 2044 du Code civil n’étant pas exigé pour la validité du contrat de transaction, mais seulement à des fins probatoires, la cour d’appel a exactement retenu que pour être valable la transaction n’avait pas à être signée par les deux parties ».

C’est donc une solution rigoureuse, car l’importance de l’acte de transiger et l’exigence de l’écrit de l’article 2044 du Code civil peuvent malheureusement laisser croire aux assurés qu’un formalisme particulier pourra les protéger d’une transaction surgie ex nihilo.

Tel n’est pas le cas, et la Cour de cassation refuse de considérer la transaction comme un acte solennel, la traitant comme un simple contrat consensuel formé par la seule rencontre de la volonté des parties, sous réserve de la preuve de son contenu.

Si l’on peut comprendre l’orthodoxie de la solution juridique, sa rigueur peut surprendre quand on sait combien – en pratique – des formules équivalentes à la renonciation à recourir de l’attestation litigieuse existent, notamment en présence de règlements partiels entraînant la signature de quittances ou d’attestations.

Jurisprudence constante

Ce courant jurisprudentiel, rigoureux, rejoint la solution de l’arrêt de la Cour de cassation du 16 janvier 2020 (n° 18-17.677) dans lequel une victime, qui contestait que la transaction passée avec l’assureur de l’auteur de son accident ait couvert l’ensemble de ses préjudices, a été déboutée de ses demandes d’indemnisation complémentaires, au motif que la transaction couvrait tous les postes de préjudices patrimoniaux, et était donc assortie de l’autorité de chose jugée sur l’ensemble de ceux-ci.

Cela signifie pratiquement que la forme et la qualité de la rédaction de la transaction vont déterminer la possibilité pour l’assuré (ou la victime) de faire valoir, ou pas, des droits oubliés ou méconnus. Mais tout est alors question de rédaction du texte de la transaction, de son contenu, quelle que soit sa forme physique.

On ne saurait donc trop conseiller aux assurés, en conflit avec leur compagnie qui leur offre un règlement partiel et leur demande de signer en retour une renonciation à recourir, de faire vérifier par un conseil juridique l’effet pratique de ce type de clause, fut-elle de style.

Pour autant, même si ce conseil n’était pas suivi, il ne faut pas, notamment depuis la réforme du droit des obligations de 2016, surestimer la fiction juridique de personnes équivalentes négociant librement leurs droits, le tout en pleine connaissance de cause. L’article 1143 nouveau du Code civil a consacré ce qu’on appelle « la violence économique » permettant à une partie d’annuler une convention en cas « d’abus de dépendance ». Applicable à une transaction, cet article n’en suppose pas moins certaines conditions (prouver que l’assuré n’aurait pas souscrit en l’absence de contrainte, montrer que l’assureur en tire un avantage « manifestement » excessif), ce qui nécessitera nécessairement un contentieux.

Le meilleur moyen d’éviter la sanction radicale attachée à la transaction, et désormais visée à l’article 2052 du Code civil, est donc de ne surtout pas se précipiter pour signer un quelconque document émanant d’un assureur avant d’en comprendre la portée exacte, et de s’entourer de conseils (associations, assureurs PJ, avocats…). A défaut, le risque est grand de voir des demandes justifiées dans leur principe être écartées au nom de l’effet légal de la transaction.