Article – Sur l’étendue du devoir de conseil du courtier

Vendredi 13 janvier 2023

Le paradoxe d’un principe fondateur du droit des assurances – ici le principe indemnitaire de l’article L.121-1 du Code des assurances – est que s’il est intuitivement connu et pratiqué L’arrêt de la Cour de Cassation du 15 septembre 2022 (n°21-15528) participe de ce mouvement en rappelant – via un moyen soulevé d’office ce qui est un signe de l’importance du sujet – qu’il était du devoir du courtier en assurance de faire coïncider la garantie souscrite par l’assuré avec les besoins de l’assuré et que le courtier avait dans l’espèce « induit en erreur » l’assuré « en n’attirant pas spécialement leur attention sur la nécessité de souscrire une assurance facultative complémentaire ».

Mais cette formulation, qui laisse supposer que le courtier serait au fond tenu d’une sorte d’efficacité de la police, n’est-elle pas excessive dans sa rigueur?

L’actualité jurisprudentielle est faste pour le métier du courtage d’assurances, dont les frontières (via la décision de la CJUE C 633/20 du 29 septembre 2022 posant au niveau européen une définition large du métier de courtier en assurances) mais encore les risques (via la décision n°2021-04 de l’ACPR du 17 octobre 2022 prononçant pour la première fois une interdiction d’exercice) sont précisés par différentes autorités et régulateurs.

L’arrêt de la Cour de Cassation du 15 septembre 2022 (n°21-15528) participe de ce mouvement en rappelant – via un moyen soulevé d’office ce qui est un signe de l’importance du sujet – qu’il était du devoir du courtier en assurance de faire coïncider la garantie souscrite par l’assuré avec les besoins de l’assuré et que le courtier avait dans l’espèce « induit en erreur » l’assuré « en n’attirant pas spécialement leur attention sur la nécessité de souscrire une assurance facultative complémentaire ».

Mais cette formulation, qui laisse supposer que le courtier serait au fond tenu d’une sorte d’efficacité de la police, n’est-elle pas excessive dans sa rigueur ?

Les faits

Les faits de l’espèce sont classiques mais éclairent le problème de droit qui va se poser devant la Cour de Renvoi. Soit un organisateur de spectacles, la société Allo Express, qui souhaite organiser un spectacle de cascades et de rodéo automobile le 15 juillet 2007.Ce type d’évènement étant alors régi par une assurance obligatoire, prévu par le décret n°2006-554 du 16 mai 2006 (dans sa version alors applicable), dont les montants sont précisés par l’arrêté du 27 octobre 2006 (soit 6.100.000 € au titre des dommages corporels et 500.000 € au titre des dommages matériels).

Cette obligation issue de l’article 11 du Décret (abrogé depuis) était d’imposer une assurance responsabilité dans les termes suivants :« La police d’assurance garantissant la manifestation et ses essais couvre la responsabilité civile de l’organisateur et des participants ainsi que celle de toute personne qui prête son concours à l’organisation avec l’accord de l’organisateur. La police garantissant la concentration n’est pas tenue de couvrir la responsabilité civile des participants ».

Une police sera mise en place via le courtier d’assurances auprès du GAN aux droits duquel viendra in fine Allianz.Lors de l’installation du décor du spectacle, le 15 juillet 2007 au matin, quatre bénévoles dresseront un mat métallique à quelques mètres à peine d’une ligne à haute tension ; une électrocution surviendra, tuant un des bénévoles et blessant les trois autres.

Les organisateurs et assurés seront renvoyés, et condamnés, devant le Tribunal Correctionnel compétent pour homicides et blessures involontaires, tandis que la Cour d’Appel statuant sur les intérêts civils indemnisera les victimes mais dira que l’assureur n’était pas tenu à garantie, au regard du fait que la garantie réglementaire ne s’étendait pas aux bénévoles chargés de l’installation des équipements (solution implicite).

Estimant que leur courtier était responsable de la non-garantie de l’assureur, les assurés mettront en cause au civil leur mandataire sur le fondement du manquement au devoir de conseil, mais au dernier état la Cour de Rennes le 24 février 2021 refusera cette mise en cause au motif notamment que la police souscrite « convenait parfaitement aux risques que ses clients lui avaient demandé de faire garantir », ce  d’autant plus que « la simple lecture des documents précontractuels et contractuels rédigés en des termes précis permettait de connaitre exactement l’objet et l’étendue de la garantie ».

De plus, le courtier fera valoir qu’il était persuadé que l’assurance souscrite était suffisante pour couvrir l’ensemble de l’organisation de l’événement, et notamment les risques annexes à la simple course elle-même.D’ailleurs la police, d’après le Décret du 16 mai 2006 ne doit-elle pas couvrir également la responsabilité de « toute personne qui prête son concours à l’organisation avec l’accord de l’organisateur » ce qui parait couvrir les bénévoles ?

Ce raisonnement de la Cour de Rennes qui sera cassé pour violation des articles 1147 du Code Civil, devenu 1231-1 du Code Civil, et L 520-1 II 2° du Code des assurances alors applicable, via un moyen substitué d’office (voir sur le mécanisme la note du Pr LANGE in RGDA novembre 2022 en commentaire de l’arrêt).Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cet arrêt, qui ne parait toutefois pas exempt de critiques.

Le raisonnement de la Cour de cassation

La Cour de Cassation rappelle que le devoir de conseil est bien au cœur du métier de courtier en assurances, point qui ne peut être sérieusement discuté, puisque ce devoir figurait déjà dans l’article L 520-1 II 2° ancien du Code des assurances, et est d’ailleurs encore plus clairement exprimé dans l’article L 521-4-1-I du Code des assurances qui parle à plusieurs reprises de la nécessité pour le distributeur d’assurances de se préoccuper de répondre aux « exigences » et « besoins » de l’assuré, ce qui induit qu’un assuré exigeant une assurance spécifique puisse se voir proposer une police plus adaptée à ses besoins, selon l’analyse qu’en fera le courtier.

Ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté, puisque le principe même de ce devoir de conseil a été étendu à tous les intermédiaires depuis un arrêt du 10 novembre 1964 (JCP 1965, II, 13981). Pour autant l’arrêt de la Cour de Rennes était-il à ce point dans le faux pour qu’on le casse pour violation de la Loi ? Au fond ce qui est reproché au courtier c’est de ne pas avoir compris les limites contractuelles de la police obligatoire. On sait que la jurisprudence pose, en cas de risque d’insuffisance de garantie, qu’il appartient au courtier « professionnel d’éclairer son client sur les risques raisonnablement concevables » (Civ. 2eme 29 mars 2006, n°05-11147).

Mais était-il aussi « concevable » que l’emploi de bénévoles, manifestement sans encadrement, amènerait à une décision aussi dramatiquement dangereuse de construction d’un pied métallique à cinq mètres d’une ligne à haute tension ? Jusqu’où va cette obligation de quasi « prediction du risque » imposée au courtier qui devrait anticiper dés la conclusion de la police tous les risques potentiellement réalisables ?

De plus, l’obligation d’assurance était celle imposée par le Décret du 16 mai 2006, qui elle a bien été respectée.

On nous retorquera que la distribution d’une assurance obligatoire n’exclut pas forcément l’extension, via une assurance facultative, d’une garantie à des risques adjacents ou connexes. Certes, mais quand le courtier – comme c’est le cas ici – était persuadé que la garantie du GAN couvrirait tous les risques possibles liés à cet évènement, ou réside la faute, puisque la Cour de Rennes à retenu que les documents précontractuels et contractuels étaient précis et clairs ?

On touche ici à la limite de l’omniscience supposée du courtier qui, dans l’implicite du raisonnement de la Cour de cassation, aurait dû anticiper la non garantie prononcée par la Cour Correctionnelle statuant sur les intérêts civils du dossier pénal. Car pour donner un conseil adapté, encore faut-il disposer d’une information particulière sur les limites de ce type de police – par exemple via des retours de l’assureur sur des hypothèses de non garantie liées à ce type d’événements sportifs. De plus, autre biais du raisonnement de la Cour de cassation, qui connaît mieux son risque dans ce type d’événements que l’assuré lui-même ?

En d’autres termes, l’assuré n’était-il pas averti et non pas profane, puisque son activité était précisément d’organiser des spectacles automobiles et donc à chaque spectacle de mettre en place une assurance dédiée. En matière de devoir de conseil de l’assureur – mais le raisonnement est transposable aux intermédiaires puisque tous sont désormais « distributeurs » d’assurance – le rôle passif de l’assuré averti peut être retenu dans la qualification du manquement au devoir de conseil (Cassation 2eme du 05 octobre 2017 n°16-195165 ; Cass. 2eme du 07 mars 2019 n°18-10604). Et qu’en est-il de la probabilité – puisque nous raisonnons en perte de chance – qu’un assuré faisant travailler des bénévoles sans encadrement à la sécurité souscrive une assurance complémentaire ?

En d’autres termes, la cassation de la juridiction suprême pour violation de la Loi ne laisse pas le courtier d’assurance à court d’arguments devant la Cour de Renvoi. Affaire à suivre donc.

Publié le 24 août 2022 sur la Tribune de l’assurance