Article – Référé : la délicate définition de l’obligation non sérieusement contestable

Vendredi 16 janvier 2023

Une obligation sérieusement contestée est-elle pour autant sérieusement contestable au sens de la loi ? La Cour de cassation tranche ce débat dans un arrêt du 17 décembre.

Certains arrêts, tel celui du 17 novembre 2022 (n°21-15413) n’auront pas l’honneur d’une publication au rapport Annuel, mais méritent pourtant d’être signalés au regard de leur intérêt pratique évident, notamment dans le domaine de l’assurance. Les circonstances du litige sont d’une banalité rare. Soit une SCI Jules A, propriétaire de deux lots de copropriété situés au rez-de-chaussée d’un immeuble qui seront touchés par deux dégâts des eaux les 6 février 2012 et 13 février 2012. Une expertise s’ensuivra et l’expert judiciaire attribuera l’origine du sinistre du 6 février 2012 à une rupture de canalisation survenue dans les locaux de la société Foch Madsen, propriétaire d’un lot situé au 2eme étage de l’immeuble.

A priori, la solution paraissait évidente, et pourtant que ce soit en première instance ou en appel via l’arrêt de la Cour de Bordeaux du 10 mars 2021, la SCI Jules A va se voir déboutée systématiquement au regard de l‘existence d’une contestation sérieuse sur sa demande de provision. Et il est vrai que l’examen des arguments visés par la Cour de Bordeaux dans son arrêt du 10 mars 2021 donne une idée assez précise du niveau d’opposition des parties sur le litige, parties à priori d‘accord sur rien.

Qu’on en juge ; copropriété dans un état de vétusté avancé, faisant l’objet d’un programme de rénovation depuis quatre années au moment du sinistre, travaux entamés mais jamais terminés, impossibilité pratique d’affecter les sinistres de février 2012 à un dégât des eaux en particulier, imputabilité potentielle des sinistres à la structure de l’immeuble, délaissement par la SCI Jules A de ses propres biens, antériorité d’autres dégâts des eaux, et, dernier problème, rapport d’expertise renvoyant pour le chiffrage à des devis annexés, non produits pourtant. Avec un tel fatras causal, il n’est guère étonnant que tant le premier juge que la Cour de Bordeaux aient été amenés à considérer que la demande de provision se heurtait à une contestation sérieuse.

Erreur toutefois dira la Cour de cassation dans son arrêt du 17 novembre 2022, suffisamment grave pour justifier une cassation pour violation de la Loi, ici de l’article 835 du Code de Procédure Civile.  Rappelons que ce texte pose que : « Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »

Le principe est simple à énoncer, intuitif, mais que signifie pratiquement une obligation « non sérieusement contestable » ? On voit ici, dans l’espèce commentée, que les moyens de la contestation n’étaient pas minces, ce qui explique sans difficultés le choix du rejet de la provision de la Cour d’Appel de Bordeaux. En d’autres termes, une obligation sérieusement contestée est-elle pour autant sérieusement contestable au sens de la Loi ?

Le raisonnement de la Cour de cassation

Sur la forme, la Cour de cassation rappelle qu’elle opère un contrôle sur la notion d’obligation non sérieusement contestable (assemblée plénière, 16 novembre 2001, n°99-20114), le juge des référés ne pouvant affirmer sans démontrer en quoi l’obligation n’est pas contestable. De plus, l’absence de contestation sérieuse ne s’apprécie pas à la date de la saisine du juge, mais à la date à laquelle le juge va être amené à statuer, le litige pouvant être amené à évoluer depuis l’assignation initiale (Civ. 22 février 1983 n°81-11440). Sur le fond du référé lui-même ensuite, il est évident que le seul fait de soulever une contestation ne suffit pas à permettre de rejeter une demande de provision ; l’obligation sera alors contestée, mais pas « sérieusement » contestable (TGI Niort 23 juillet 1981 GP 82 Somm. 30).

Si la notion de contestation sérieuse n’est pas aisée à définir, la doctrine pose (rappelée dans le Dalloz Action « Droit et Pratique de la Procédure Civile » n°236.171) que la contestation sérieuse est « celle que le juge ne peut pas sans hésitation rejeter en quelques mots ». C’est donc l’évidence du point contesté qui serait le véritable critère de la distinction de ce qui est sérieusement contestable de ce qui ne l’est pas. Mais alors, comment comprendre l’arrêt du 17 novembre 2022 ou la masse de moyens soulevés par la société propriétaire du deuxième étage avait au moins de quoi susciter une interrogation ?

C’est oublier la place que la Cour de cassation laisse à la causalité impulsive et déterminante, comme le montre clairement le point 9 de l’arrêt commenté : «  En statuant ainsi, alors que l’incertitude sur l’étendue du préjudice subi par la société Jules A, qui concluait, en qualité de gardienne de la conduite d’eau qui avait éclaté, à la responsabilité de la société Foch Madsen, laquelle ne contestait pas la rupture de canalisation dans ses locaux, ne pouvait avoir une incidence que sur le montant de la provision sollicitée et n’affectait pas le principe de l’obligation à  indemnisation, dont le caractère sérieusement contestable était seul susceptible d’empêcher l’octroi d’une provision »

C’est donc raisonner en termes de causalité impulsive et déterminante, les autres causes (vétusté avérée, travaux inachevés, défaut d’entretien etc.) ne permettant simplement que de limiter le montant de la provision accordée, mais ne permettant pas d’en supprimer le principe même. Cela ne signifie pas que ces arguments opposés par le propriétaire du bien à l‘origine du dégât des eaux sont inopérants, simplement qu’ils n’empêchent pas le jeu de l’article 835 du Code de procédure civile, et auraient dû amener les juridictions saisies, malgré la complexité factuelle du litige, à ordonner une provision sur le sinistre, fut-elle limitée par la multiplicité des autres causes potentielles ou aggravantes du sinistre.

Dans le domaine de l’assurance, confronté à de nombreux dossiers ou des demandes de provision sont présentées, cet arrêt à la mérite de rappeler que ce n’est pas la quantité d’arguments opposés à une demande de provision qui est pertinente, mais leur qualité. Et, enseignement secondaire, qu’il est parfois plus utile de se défendre sur le quantum que sur le principe de la provision. Du droit comme école de subtilité.

Publié le 13 décembre 2022 sur la Tribune de l’assurance