Article – Recevabilité de constitution de partie civile en cours d’instruction, une règle méconnue en assurance ?

PAR STÉPHANE CHOISEZ, AVOCAT ASSOCIÉ

Un arrêt récent tend à ouvrir assez largement les conditions dans lesquelles une partie civile peut se constituer devant les juridictions d’instruction afin de faire valoir les préjudices découlant d’une infraction pénale.

Il est assez rare qu’une starlette américaine de la télévision connue essentiellement pour ses frasques – appelons-la Mademoiselle K. – fasse progresser la science juridique en France.
C’est pourtant tout le sens d’un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 juin 2019 (n°18-84.653) publié au Bulletin, dont la solution tend à ouvrir assez largement les conditions dans lesquelles une partie civile peut se constituer devant les juridictions d’instruction afin de faire valoir les préjudices découlant d’une infraction pénale.
Et, comme on va le voir, bien que traitant de la responsabilité légale d’un hôtelier en cas de vol commis dans son établissement, l’espèce concerne directement les compagnies d’assurance. L’article 2 du Code de procédure pénale, texte fondateur, dispose que « l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont souffert du dommage directement causé par l’infraction ».

Barrière difficilement franchissable

Ce texte de base semble caractériser dans le domaine de l’assurance une barrière difficilement franchissable pour l’assureur susceptible de voir sa garantie mobilisée en cas de réalisation d’une infraction pénale. En effet, si l’on écarte l’hypothèse où la compagnie d’assurance est elle-même victime, le plus souvent lorsqu’une compagnie d’assurance à la suite d’une infraction pénale susceptible de mobiliser sa garantie contractuelle cherche à se constituer partie civile elle fera valoir non pas les conséquences directes de l’infraction, mais la conséquence que cette infraction aura sur son propre contrat d’assurance.

Il ne s’agit donc pas, juro sensu, d’un dommage « directement causé par l’infraction » au sens de l’article 2 du Code de procédure pénale, mais bien plus de la mise en œuvre d’une obligation civile née du contrat d’assurance, sauf à considérer que l’exécution d’un contrat d’assurance est en soi un dommage.

L’idée assez répandue chez les praticiens de l’assurance est donc de considérer qu’une compagnie d’assurance ne peut que difficilement se constituer partie civile, notamment devant le juge d’instruction. La solution juridique de la Cour de cassation est pourtant plus subtile, et bien plus pragmatique que cela.

Selon un attendu de principe figurant dans l’arrêt du 25 juin 2019 (op. cité), et au visa de l’article 2 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation pose que « pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possibles l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ».

Cette règle avait déjà été posée dans plusieurs arrêts et notamment dans un arrêt de la Chambre criminelle du 27 mai 2009 (n° 09-80.023) et directement dans le domaine de l’assurance, dans le cadre d’un arrêt de la Chambre criminelle du 3 mars 2015 (n° 13-88.514).

Cette règle pourrait sembler antinomique avec l’article 2 du Code de procédure pénale, mais elle est pourtant cohérente avec le réalisme qui doit présider lors d’une instruction pénale. En effet, à ce niveau de la procédure, il ne s’agit pas de poser le résultat final du litige, mais au contraire d’établir la matérialité des faits poursuivis et leurs conséquences, dont font nécessairement partie les préjudices qui résultent de l’infraction, pourvu qu’elle soit caractérisée.

Recevabilité de constitution de partie civile en cours d’instruction, une règle méconnue en assurance ?

Vol de bijoux pour un montant record

Dans l’arrêt du 25 juin 2019 (op.cité), notre starlette avait, lors d’un passage à Paris, eu la mauvaise idée de se promener puis d’entreposer dans une résidence hôtelière des bijoux dont la valeur avoisinait les 9 M€.
Mademoiselle K. étant restée seule, faute de garde du corps parti accompagner ses sœurs en soirée – ce qui lui vaut d‘ailleurs un recours aux Etats-Unis de la compagnie AIG – elle s’était retrouvée face à cinq braqueurs qui lui avaient subtilisé plusieurs bijoux en diamants et en or, pour un montant record.

L’exploitant de la résidence hôtelière avait eu à subir une importante atteinte à son image tandis qu’il recevait parallèlement une mise en cause de sa responsabilité, émanant de l’avocat de la victime, et mettant en cause sa responsabilité légale, telle qu’exprimée aux articles 1952 et 1953 du Code civil qui font que l’hôtelier répond du vol commis dans son établissement.
Le juge d’instruction avait déclaré cette constitution de partie civile de l’hôtelier irrecevable, au motif que celui-ci n’était pas « une victime directe », mais émanait d’une personne morale tenue à une obligation civile, soit une lecture stricte de l’article 2 du Code de procédure pénale.

C’est cette décision qui est cassée, et sans renvoi, ouvrant donc à cet hôtelier la possibilité d’être partie civile, et d’exercer les droits afférents à cette qualité.

Cette solution apparaît particulièrement intéressante pour les compagnies d’assurance, puisqu’au stade de la procédure qui concernait Mademoiselle K., l’hôtelier n’avait pas encore indemnisé la victime, mais était susceptible de le faire, tout comme un assureur est susceptible, selon les évolutions d’une instruction, de devoir accorder ou refuser sa garantie.

C’est cette idée d’une obligation à paiement, fut-elle civile et potentielle, qui paraît marquer aux yeux de la Chambre criminelle le critère de recevabilité de la constitution de partie civile devant la juridiction d’instruction, plus que le fait de savoir si le droit à réparation de la partie civile découle de l’infraction ou d’un contrat.

En effet, dans l’arrêt du 3 mars 2015 (op. cité) la Cour de cassation reconnaît recevable la constitution de partie civile de la compagnie d’assurance au motif que l’instruction traitait précisément de manœuvres frauduleuses qui pouvaient permettre au fraudeur d’être « bénéficiaire auprès d’elle d’une stipulation pour autrui ».

On notera que la Cour de cassation, sans doute pour contourner la question de l’article 2 du Code de procédure pénale, évoque une obligation à paiement issue d’un mécanisme légal – la stipulation pour autrui – plutôt que de s’attarder sur le fait que cette stipulation est juridiquement inscrite au contrat d’assurance.

Plutôt que le contrat, la Chambre criminelle retient le principe d’une obligation au paiement née du contrat lui-même, mais en vertu de la loi, ce qui est une forme de rhétorique.

Recevabilité de constitution de partie civile en cours d’instruction, une règle méconnue en assurance ?

Obligation à paiement en cas de sinistre

On peut pourtant aller plus loin que cette analyse discutable, et se rappeler que, tout comme pour les articles 1952 et 1953 du Code civil concernant les hôteliers, le Code des assurances dispose en son sein d’un article posant à la charge de l’assureur, légalement, cette obligation à paiement en cas de sinistre, soit l’article L.113-5 du Code des assurances, qui dispose que « lors de la réalisation du risque ou à l’échéance du contrat, l’assureur doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat et ne peut être tenu au-delà ».

Cette obligation légale à paiement, sous réserve évidente d’application du contrat, paraît être un véhicule juridique pertinent en cas de constitution de partie civile devant le juge d’instruction, permettant de couper court au débat sur le caractère direct ou pas du préjudice revendiqué par l’assureur.
C’est parce qu’il est, potentiellement et sous conditions contractuelles, tenu à paiement en vertu de la loi que l’assureur doit pouvoir se constituer partie civile, quitte à dénier sa garantie dans un second temps.

Attention, cela ne clôt pas le débat sur la question de la recevabilité de la constitution de partie civile devant les juridictions répressives au jour de l’audience pénale, s’agissant de deux décisions de recevabilité indépendantes l’une de l’autre (Criminelle, 17 février 2004, n° 03-85.119), puisqu’il appartiendra alors à la compagnie d’assurances de reprendre l’éventuel débat sur la recevabilité de sa constitution de partie civile devant ce juge pénal.

Il n’en reste pas moins que, à rebours d’une légende tenace, qui veut que les compagnies d’assurance ne puissent se constituer partie civile devant un juge d’instruction faute de subir un préjudice directement lié à l’infraction, cette solution bienvenue permet de clore un débat teinté de juridisme, alors que le pragmatisme devrait y prévaloir.

Sans faire de notre starlette une juriste honoris causa de l’université française, sa contribution, bien involontaire, au droit des assurances mérite d’être saluée. Reconnaissons toutefois que les sources de la connaissance juridique sont parfois mystérieuses.

Article paru dans La Tribune de l’assurance :    l’édition en ligne

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