Lundi 9 décembre 2019
Interview de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur
Alors que l’ACPR débute aujourd’hui au Maroc le contrôle d’une plateforme téléphonique détenue par un courtier français, Stéphane Choisez, avocat associé du cabinet Choisez Associés revient sur la légalité de ce contrôle et les modalités de collaboration entre les deux régulateurs.
L’ACPR dispose-t-elle du pouvoir légal de contrôler des sociétés à l’étranger ?
La réponse est en fait subtile. Si l’on raisonne en tant que juriste, l’idée qu’un texte de loi français autorise un organisme français, fut-ce un régulateur aussi légitime que l’ACPR, à contrôler une société soumise aux normes juridiques d’un pays tiers – ici le Maroc – cela peut sembler incongru. En effet demander aux autorités marocaines d’appliquer la loi française sur le territoire marocain peut sembler caractériser une atteinte à la souveraineté nationale du Maroc. C’est pourquoi, le texte de l’article L 612-26 du Code monétaire et financier français anticipe cette difficulté en indiquant que « les contrôles sur place peuvent également être étendus aux succursales ou filiales, installées à l’étranger, d’entreprises assujetties au contrôle de l’autorité…..soit (en dehors de l’Espace Economique Européen) pour les autres Etats dans le cadre des conventions bilatérales prévues à l’article L 632-13 (du CMF) ou avec un accord exprès pour le déroulement de cette extension recueilli auprès de l’autorité compétente chargée d’une mission similaire (à celle de l’ACPR) ». Pratiquement, en dehors de l’EEE, soit il existe une convention bilatérale et on exécute l’accord, soit l’ACPR sollicite, s’il n’y a pas d’accord bilatéral, l’accord de cette autorité compétente, et en averti le courtier contrôlé.
Justement, existe-t-il une convention bilatérale entre la France et le Maroc ?
Oui, c’est la « convention d’échange d’informations, de coopération générale et de coordination en matière d’assurance » du 14 décembre 2017, publiée sur le site de l’ACPR, et qui définit le cadre et les règles de cette coopération. L’accord, classique, pose les définitions de ce que sont les « succursales » et « filiales », rappelle la loi applicable, l’importance de la confidentialité des échanges, la nature des échanges d’informations entre autorité, ici l’ACAPS pour le Maroc et l’ACPR pour la France. Il est manifeste que c’est cette convention qui aura été utilisée. Toutefois, s’agissant, à ma connaissance, d’une première pour l’ACPR on peut penser que le régulateur à largement anticipé ce contrôle et pris toutes les précautions et autorisations nécessaires pour que, sur le plan formel, le contrôle se déroule sans anicroche.
Est-ce à dire que les autorités marocaines n’ont pas leur mot à dire à ce contrôle ?
Bien sûr que si, elles disposent d’un pouvoir d’opportunité. En fait il faut comprendre que le droit international public est un droit ou la diplomatie n’est jamais très loin. Le Maroc, qui est la deuxième place d’assurances en Afrique, est un partenaire important de la France et s’attache à créer un environnement juridique propice au développement de l’assurance sur les deux rives. Ce contrôle a donc certainement été anticipé largement en amont, au plus haut niveau, et je vois mal les autorités marocaines « découvrir » la présence d’une équipe d’enquêteurs de l’ACPR le jour de leur arrivée sur le sol marocain. Certes l’accord de coopération du 14 décembre 2017 prévoit une clause classique en droit international, ou afin de faciliter la signature de l’accord ou du traité, il existe une clause de réserve qui permet à chaque pays de sortir de la convention. Ici l’ACAPS se réserve de « refuser toute transmission d’informations dont la communication serait de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels et à l’Ordre Public du Maroc » ce qui est très large. Mais à nouveau, je vois mal l’ACPR se lancer dans son premier contrôle outre-méditerranée sans avoir largement anticipé ces questions.
Toutes les informations recueillies au Maroc seront elles utilisables dans le cadre du contrôle ?
Ne connaissant que le cadre général du contrôle – qui porte sur du démarchage téléphonique, j’imagine émanant d’un call center – il est très difficile de savoir ce qui sortira de ce contrôle. On peut être certain que l’ACPR fera bénéficier, même pour un contrôle au Maroc, le courtier contrôlé des règles et droits exprimés dans la « charte de bonne conduite d’une mission de contrôle sur place » d’avril 2010, et d’une façon plus générale de tous les droits de la défense habituels. Par contre, s’agissant du premier litige de la sorte il sera scrupuleusement examiné par le marché. Pour répondre à votre question, j’imagine que cet élément d’extra-territorialité fera l’objet de débats dans les phases qui suivront le contrôle sur place. Affaire à suivre…
Propos recueillis par Sébastien Acedo