Article – Faute intentionnelle et condamnation pénale : un dilemme pour l’assureur

Mardi 17 mars 2020

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

Tout praticien de l’assurance connaît l’article L.113-1 alinéa 2 du Code des assurances qui, légalement, exclut de la garantie de l’assureur la « faute intentionnelle ou dolosive » de l’assuré. Tout juriste sait que le droit est, selon la formule célèbre du Doyen Carbonnier du « bon sens organisé », soit un exemple de règles permettant, avec plus ou moins de logique et de cohérence, de vivre en société. C’est pourquoi l’arrêt rendu par la Cour de cassation du 16 janvier 2020 en matière de faute intentionnelle, s’il n’est pas une surprise quant à son résultat, n’en laisse pas moins le commentateur étonné sur la rigueur de la solution retenue par la Juridiction suprême.

Soit un salon de thé, dénommé « les Lutins » assuré auprès de la société Axa. Soit un jeune homme, tout juste majeur, mais vivant au domicile de sa mère, qui est assurée auprès de Generali au titre d’une police couvrant la responsabilité civile des enfants vivant au foyer familial.

Animé par un motif dont on ignore tout, le jeune homme va décider, le 21 juin 2008, de mettre le feu à des chaises en plastique situées sur la terrasse du salon de thé, incendie qui va se propager à l’intérieur de l’établissement, causant d’importants dégâts matériels.

L’affaire ayant eu des suites pénales, le jeune homme sera condamné le 21 avril 2009 par un tribunal correctionnel du chef de dégradation volontaire d’un bien immobilier par incendie, décision depuis définitive. La société « les Lutins » a alors assigné le jeune homme, sa mère et leur assureur Generali en réparation des préjudices, et Axa est intervenu volontairement à l’instance afin d’obtenir la condamnation de Generali à lui rembourser les indemnités versées à son assuré au titre du préjudice matériel et de la perte d’exploitation.

Dans son arrêt, la cour d’appel de Caen, en date du 10 avril 2018, pensera faire une application logique des principes généraux du droit en rappelant que l’autorité de chose jugée du pénal sur le civil s’imposait au juge civil « relativement aux faits qui constituent le soutien nécessaire de la condamnation pénale », règle parfaitement exacte et d’un classicisme éprouvé.

Et, en conséquence, la cour déclarera le recours d’Axa contre Generali irrecevable, au motif que cette condamnation pénale définitive du jeune homme qualifiait la faute intentionnelle de l’article L.113-1 alinéa 2 du Code des assurances.

Bien mal lui en prendra, puisque la Cour de cassation cassera l’arrêt du 10 avril 2018, pour violation de la loi, au motif suivant : « Qu’en statuant ainsi, alors que la condamnation de Monsieur E. pour cet incendie volontaire n’impliquait pas, en elle-même, qu’il ait recherché le dommage tel qu’il est survenu ». Autrement dit, allumer volontairement un incendie n’est pas forcément en vouloir les conséquences.

Rapports entre la faute pénale et la faute assurantielle

Pas grand-chose de nouveau toutefois, sur le plan juridique, sur les rapports entre la faute pénale et la faute assurantielle, puisque ainsi que le rappelle déjà un arrêt du 8 mars 2018 (Civ. 2e, n° 17-15.143) dans des circonstances à la fois proches et plus dramatiques (le fils de l’incendiaire étant décédé) la Cour de cassation avait posé que la faute intentionnelle au sens de l’article L.113-1 du Code des assurances, qui implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu, n’exclut de la garantie due par l’assureur à l’assuré, pourtant condamné pénalement, que le dommage que cet assuré a recherché en commettant l’infraction.

Sur le plan pratique, cela signifie que, malgré la réaffirmation du principe de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil, une condamnation pénale pour incendie n’est en soi qu’un élément, parmi d’autres, permettant à l’assureur de qualifier la faute intentionnelle de l’assuré, et donc de lui dénier sa garantie.

L’assureur doit non seulement établir l’acte criminel – ce qu’une condamnation pénale définitive permet – mais sur le plan assurantiel que cet acte délictueux visait au dommage tel qu’il est survenu.

C’est sur ce point qu’a, dans notre espèce, achoppé la cour d’appel de Caen qui s’est contentée d’un lien automatique entre condamnation pénale définitive et faute intentionnelle au sens de l’article L.113-1 du Code des assurances.

Attention, cela ne signifie pas forcément que le raisonnement de l’arrêt du 16 janvier 2020 ne puisse tenir si, par exemple, la procédure pénale révélait le but final de réalisation d’un dommage particulier, dommage qui, réalisé, recouperait alors la définition de la faute intentionnelle au sens du Code des assurances.

Mais se contenter d’une procédure pénale pour prouver une faute intentionnelle est en soi une erreur. On le voit, la décision du 16 janvier 2020 est sans doute orthodoxe au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce que doit être la faute intentionnelle.

Il n’en reste pas moins qu’en faisant de la condamnation pénale un élément de raisonnement quasi « neutre » dans le débat sur la faute intentionnelle, la Cour de cassation invite à s’interroger sur ce qui peut bien, à ses yeux, qualifier une telle faute.

La faute intentionnelle et assurance

Jusqu’où doit aller l’assureur au titre de la preuve à rapporter pour obtenir enfin le droit de se prévaloir de la faute intentionnelle ? Si on en croit la Cour de cassation, ce n’est pas une preuve impossible, mais il faut aller assez loin pour la qualifier. Ainsi, un arrêt récent du 8 janvier 2020 (Civ. 2e n° 18-19782) en donne un exemple éclairant, s’agissant d’un avocat qui a usé de ses fonctions « pour donner un aspect de légitimité à un ensemble d’opérations immobilières fictives ».

Dans cette hypothèse, statuant sur la faute de l’avocat, et le fait de savoir si elle était intentionnelle au sens de l’article L.113-1 alinéa 2 du Code des assurances, la Cour de cassation a retenu que, en participant à ces opérations frauduleuses, l’avocat savait pertinemment qu’il engagerait sa responsabilité civile professionnelle mais que, garanti par une assurance obligatoire, son patrimoine échapperait néanmoins à toute sanction.

La Cour de cassation motive son rejet du pourvoi et valide la sanction faite à l’assuré :

« Mais attendu que l’arrêt relève que M. R. a usé de ses fonctions d’avocat pour donner un aspect de légitimité à un ensemble d’opérations immobilières fictives initiées par M. Q.-L., lui offrant notamment les moyens de commettre ses agissements répréhensibles et de renforcer la crédibilité des actes aux yeux des victimes ; qu’il ajoute que M. R. s’est proposé d’être le séquestre des sommes prétendument dues à Mme W., présentée comme sa cliente mais dont il n’avait pas vérifié l’identité, et qu’il a sollicité des acquéreurs de nombreux frais et honoraires ; qu’il précise qu’en ayant conscience du caractère fictif des opérations et de l’impossibilité de restituer les fonds encaissés par ses soins, il a participé sciemment à des faits pénalement répréhensibles ; que, de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d’appel a pu déduire que M. R. avait eu la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu, commettant ainsi une faute intentionnelle exclusive de la garantie de l’assureur, au sens de l’article L.113-1, alinéa 2, du Code des assurances ; que le moyen n’est pas fondé ;

On voit bien ici le lien juridique fait entre l’abus des pouvoirs que confèrent les fonctions d’avocat et la réalisation du dommage, caractérisée par la non-reproduction des fonds séquestrés par lui. On peut même se demander si une telle solution s’appliquerait de façon aussi rigoureuse à un non-avocat, dont on sent ici que les fonctions ont joué un rôle déterminant dans la réalisation de la fraude.

La faute intentionnelle, faute définitivement impossible à prouver pour un assureur ? Non, pas forcément, mais le niveau de difficulté est tel pour l’assureur qu’on peut se demander si cette règle ne jouera jamais que dans des cas si particuliers et rares qu’on comprend pourquoi, de son côté, la notion de faute dolosive continue son essor autonome devant les juridictions du fond.

De l’intérêt pour un assureur de bien choisir son argumentaire, et de préparer ses moyens de preuve avec précaution, fut-il en présence d’une décision pénale définitive.

Cass. civ. 2e, 16 janvier 2020, n° 18-18.909