Article – L’action directe de la victime : un droit garanti sous conditions

Mardi 31 mars 2020

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

Demander, pour le compte de l’assuré, le bénéfice de la garantie d’assurance de l’assureur du responsable, est-ce juridiquement exercer l’action directe appartenant à la victime de l’article L.124-3 du Code des assurances ? La différence peut sembler subtile, mais c’est pour avoir confondu l’exercice de sa propre action directe, au sens de l’article L.124-3 du Code des assurances, et l’exercice du droit à garantie d’assurance du responsable au titre de sa police RC, que la victime d’une faute professionnelle s’est retrouvée déboutée par un arrêt du 11 mars 2020 de la Cour de cassation.

Les faits sont classiques : un propriétaire donne en 2008 un mandat à une première société, dite Toit basque, de location de son bien, suivi d’un deuxième mandat au profit d’une société Juris expertise conseil, les deux sociétés finalisant, fin 2008, un partenariat.

A noter que dans le cadre de cette location, il avait été prévu une police dite garantie des loyers impayés, ou GLI, auprès de la CGAIM.

Un bail ayant été donné en location en 2010, du fait de défaut de paiement des loyers, une décision d’expulsion du locataire sera ordonnée en 2013.

Manifestement, les deux sociétés gestionnaires oublieront de saisir l’assureur GLI dans des délais utiles, et le propriétaire décidera d’assigner les deux gestionnaires pour avoir orienté le choix du dossier de location vers un locataire impécunieux, mais également pour avoir fait une déclaration tardive à l’assureur GLI.

La particularité processuelle du dossier tient au fait que ce n’est ni le propriétaire victime, ni même la société de gérance assurée chez Axa, soit la société Juris expertise conseil, qui va assigner l’assureur mais le partenaire commercial de celle-ci, soit la société Toit basque.

Et, pour le malheur du propriétaire, ses écritures d’appel avaient certes visé la police d’assurance de la société Axa France IARD, mais sans demander la condamnation solidaire de celle-ci et de son assuré, la société Juris expertise conseil, ni même rappelé son droit d’action directe.

La cour de Pau déboutera le propriétaire le 9 octobre 2018, lequel tentera vainement en cassation de faire valoir que, en ayant visé l’existence du contrat d’assurance, cela équivalait à exercer l’action directe elle-même, droit que de plus la cour d’appel aurait dû relever d‘office.

Application stricte de l’action directe

La Cour de cassation rejettera sèchement le pourvoi au motif que : « M. X ne faisait (dans ses écritures) état d’aucun lien de droit avec l’assureur et qu’il ne demandait pas la condamnation solidaire de celui-ci et de la société Juris expertise conseil. » Dès lors, en invoquant la garantie de l’assureur, le propriétaire « ne pouvait réclamer, pour le compte (de l’assuré) l’application de la garantie ».

Cette solution peut paraître sévère, mais est au fond logique et conforme à la nature juridique de l’action directe. 

Sans reprendre tout l’historique de l’action directe (voir le traité de « Droit des assurances » de B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, éditions LGDJ 2018, notamment n° 753 et suivants), celle-ci est une création jurisprudentielle légalisée en 1930, dont la jurisprudence n’a eu de cesse de montrer les subtilités, qui s’articulent autour de l’idée que « l’action directe du tiers lésé contre l’assureur de responsabilité (est) une action autonome qui trouve son fondement dans le droit de ce tiers à réparation de son préjudice » (Civ. 3e du 15 décembre 2010, n° 09-68894). 

On touche ici le cœur de la question, car ce qui caractérise l’action directe c’est son caractère dual, le fait que ce droit à réparation exercé par la victime contre l’assureur s’articule sur l’existence de la police d’assurance certes, mais également, et en même temps sur la créance de réparation que la victime possède sur l’assuré, ce qui présuppose la démonstration de sa responsabilité (voir Civ. 28 mars 1939, Bull. Civ. 1939 n° 87 – voir J. Berr et H. Groutel, « Les grands arrêts du droit des assurances », Sirey 1978, p. 220 qui retient que « si l’action de la victime d’un accident contre l’assureur est subordonnée à l’existence d’une convention passée entre ce dernier et l’auteur de l’accident et ne peut s’exercer que dans ses limites, elle trouve, en vertu de la loi, son fondement dans le droit à réparation du préjudice causé par l’accident dont l’assuré est reconnu responsable ».)

L’action directe : un droit propre et personnel à opposer

Quand l’action directe est-elle possible ? Elle ne l’est que parce qu’il existe, condition première, une créance de responsabilité détenue par la victime sur le responsable, mais aussi, condition supplémentaire parce que ce responsable est-lui-même titulaire d’une police d’assurance valable.

Mais une fois que ces conditions sont remplies, c’est bien un droit propre et personnel dont dispose la victime, lui permettant par exemple d’assigner un assureur sans même devoir assigner l’assuré.

Le propriétaire a ici été manifestement pris d’un excès de confiance, qui était de croire que parce que l’assureur avait été mis en cause, la garantie était mobilisable.

Sauf que la mise en cause ne venait pas de l’assuré, ici la société Juris expertise conseil mais de son partenaire commercial, la société le Toit basque, ce qui, au regard de l‘assureur était totalement différent.

C’est donc fort logiquement que l’assureur a opposé que, faute de demande de garantie émanant de son assuré, mais encore faute de demande d’action directe de la victime elle-même, sa garantie d’assureur ne pouvait être mobilisée.

De fait, la simple mention dans les écritures du propriétaire de l’existence d’une police de responsabilité et de la nécessité de sa mise en œuvre, sans mention du fondement de l’article L.124-3 du Code des assurances, équivalait à violer une règle d‘airain, le célèbre adage « nul ne plaide par procureur ».

Raisonnement discutable

Quelle a été l’erreur du propriétaire ? Déjà d’oublier de faire valoir le fondement juridique de son action, et de demander au visa de l’article L.124-3 du Code des assurances la condamnation de l’assureur à son profit, marquant ainsi le fait qu’il exerçait son droit autonome à indemnisation.

Reste que la seconde partie du raisonnement de la Cour de cassation est plus discutable, portant sur l’absence de demande en condamnation « solidaire ». Le propre de l’action directe est justement d’être autonome, et le fait de solliciter une « condamnation solidaire «  (sur quel fondement d’ailleurs ?) n’a aucune portée pratique.

Le procès aurait pu, au titre de la garantie d’assurance, se dérouler avec la seule présence de la victime et de l’assureur de responsabilité, ce qui rend l’analyse de la Cour de cassation sur la nécessité d’une mention de « solidarité » assez étrange pour le praticien.

Il n’en reste pas moins que la Cour de cassation, pierre après pierre, comme elle l’a fait récemment avec l’arrêt du 18 décembre 2019 (n° 18-14.827), précise et encadre le régime de l’action directe.

L’idée de cette autonomie de l’action directe ressortait de cet arrêt qui a posé, en matière de droit européen, que si l’action directe exercée à l’étranger est régie par sa loi nationale, celle du contrat d’assurance obéit à la sienne (action directe exercée par un assureur français sur un assureur néerlandais au titre d’une police locale). Un droit autonome, créé par la loi entérinant la jurisprudence, propre à la victime, et qu’elle ne doit surtout pas oublier d’exercer. Ni de compter sur les autres parties pour protéger ses droits.

De la subtilité de la stratégie judiciaire…

Cass. civ. 1re, 11 mars 2020, n° 18-26.577