Mardi 14 avril 2020
Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur, et Maître Antoine SKRZYNSKI, Avocat collaborateur
L’attestation d’assurance suscite un contentieux remarqué qui tient le plus souvent à la façon dont elle a été rédigée. C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans son arrêt du 5 mars 2020 (n° 19-13024) en retenant, au visa de l’article 1240 du Code civil (ex. article 1382 du Code civil), que la rédaction imparfaite d’une attestation d’assurance, qui ne fait pas état de la condition de paiement de la prime d’assurance, entraîne la responsabilité de l’assureur.
Les faits de l’espèce sont d’un classicisme éprouvé. Un couple, les époux X, vont passer en 2005 contrat pour la construction d’une maison individuelle avec la société EGN, outre la présence d’un architecte qui partira ensuite en liquidation. L’assureur de la société EGN a délivré, après le début du chantier, une attestation aux termes de laquelle il déclarait assurer la société EGN au titre de sa garantie décennale et de sa responsabilité professionnelle.
Les travaux n’ayant pas été terminés, et des malfaçons étant apparues, les époux X ont lancé un référé-expertise, et après la tenue de cette expertise, ont assigné l’assureur, la société EGN et le liquidateur de l’architecte pour l’indemnisation de leurs préjudices.
Alors que l’attestation d‘assurance délivrée par l’assureur n’était assortie d’aucune réserve conditionnant la mise en œuvre des garanties au paiement effectif de la prime d’assurance, et faute de paiement de la prime par EGN, l’assureur considérera l’assurance comme n’ayant jamais pris effet, n’en informant toutefois les époux X que deux ans après, en 2007, à la suite d’un échange de courriers.
La cour d’appel de Caen, dans sa décision du 7 juin 2018, écartera les demandes des époux X, tant sur la question de la réception tacite, que sur celle de la responsabilité de l’assureur au titre de la rédaction de l’attestation d’assurance.
Dès lors, les époux X feront valoir un double argumentaire devant la Cour de cassation, l’un des moyens invoquant une réception tacite, moyen qui sera finalement écarté (« la cour d’appel a ainsi caractérisé la volonté des maîtres de l’ouvrage de ne pas recevoir les travaux, a pu en déduire l’absence de réception tacite »), l’autre moyen avançant la responsabilité de l’assureur qui avait négligé de rappeler dans l’attestation d’assurance que la garantie était conditionnée au paiement de la prime.
L’assureur pour sa part contestait que cette éventuelle erreur ait pu avoir un rapport causal avec le préjudice.
Lien causal entre non-souscription de l’assurance et résiliation du contrat
C’est sur ce point que la Cour de cassation fera droit aux requérants, considérant la responsabilité de l’assureur acquise dans la mesure où, au visa complémentaire de l‘article L.111-28 du Code de la construction et de l’habitation les époux X disposaient, faute d’assurance obligatoire, « de la faculté de résilier le contrat qui le lie à la société EGN en raison de la non-souscription d’assurance à l’ouverture du chantier », caractérisant le lien causal, et entraînant ainsi une cassation pour violation de la loi.
On remarquera tout d’abord que les demandeurs n’avaient pas commis l’erreur classique qui est de considérer qu’une attestation d’assurance est en soi un « contrat » engageant l’assureur, et primant la lettre des conditions générales et particulières.
Et ce, bien que cette attestation soit obligatoire en matière précisément d’assurances obligatoires (assurance automobile R.211-14 du Code des assurances ; responsabilité des établissements de remontée mécanique R.220-8 du Code des assurances, et bien évidemment L.243-2 du Code des assurances en matière de construction).
L’attestation d’assurance : une présomption réfragable
En effet, l’attestation d’assurance n’est pas une note de couverture (Civ. 1re du 6 octobre 1993, RCA 1994 com. n° 26) documents qui se suivent en fait sur le plan chronologique ; la note de couverture précède le contrat, l’attestation la suit (suivant le raisonnement synthétique du Traité de « Droit des Assurances » de B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, ed. LGDJ n°331).
In fine, l’attestation d’assurance n’est qu’une simple facilité probatoire, qui selon les termes d’un arrêt de la Chambre Commerciale du 14 novembre 2000 (n° 97-22699) ne suffit pas à matérialiser le contrat, voir à le dépasser puisque « les certificats d’assurance (en fait des attestations ici mal dénommées) ne peuvent prévaloir sur les conditions générales du contrat d’assurance auquel ils se réfèrent ».
L’attestation ne pose en fait qu’une présomption simple, qui est insuffisante à démontrer le paiement de la prime et partant l’efficacité juridique de la police (Civ. 2e du 8 novembre 2007, n° 06-16148) ce qui fait « qu’on ne peut reprocher à un assureur son refus de garantie lorsqu’il a délivré une attestation non suivie d’un paiement par l’assuré » (Civ. 2e du 20 mars 2008, RCA 2008 com. n° 208, cf. B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia op. cité).
Simple apparence de garantie, ne primant pas sur le contrat et ses conditions, le débat sur « l’opposabilité de l’attestation » n’a donc guère de chance de prospérer en contentieux. Exit donc l’argumentaire de la preuve de la garantie de l’assureur par la délivrance de l’attestation d’assurance, restait donc ouverte la question de la responsabilité de l’assureur.
Car si la police n’est pas valable, le bénéficiaire de la police, tiers à l’assureur, n’a-t-il pas pu croire à une « illusion de garantie », puisqu’il était en possession d’une attestation lui laissant croire à l’efficacité de l’assurance, surtout si elle n’exprime aucune condition de paiement de la prime ?
On notera, au titre des circonstances de l’espèce, que l’assureur avait acté du non-paiement de la prime en 2005, mais n’avait averti les époux X que 2 ans après, en 2007.
Pour se défendre, l’assureur ne contestait pas réellement – d’après les éléments du pourvoi – que l’attestation aurait pu être plus précise sur la question du paiement de la prime, mais avait surtout déplacé le débat sur la question du lien causal, en arguant qu’à la date de délivrance de l’attestation d‘assurance de l’attestation litigieuse, soit le 19 août 2005, les époux X étaient « contractuellement engagés depuis plusieurs mois » avec le constructeur, ce qui, selon l’analyse de l’assureur, et vu le temps écoulé ne permettait pas « de remettre en cause leur engagement en poursuivant la résiliation du contrat de construction, pas plus que d’opposer un vice du consentement ».
En clair, la faute initiale du constructeur étant caractérisée (ouverture de chantier sans assurance), peu importait la faute secondaire de l’assureur (attestation imprécise).
C’était prendre le sens de l’article L.111-28 du Code de la construction et de l’habitation à l’envers, puisque l’exigence de la remise d’une attestation « à l’ouverture de tout chantier » marque une condition de validité même de l’opération de construction, pas une date butoir au-delà de laquelle tout serait possible, surtout en l’absence d’assurance.
Le propre d’une assurance obligatoire est précisément d’exister de façon obligatoire, à défaut de quoi son intérêt deviendrait très relatif.
Raisonnement de la Cour de cassation
C’est donc avec logique que la Cour de cassation cassera l’arrêt rendu au motif que, faute d’assurance, « en application de l’article L.111-28 du Code de la construction et de l’habitation, Monsieur et Madame X disposaient de la faculté de résilier le contrat qui les liait à la société EGN, en raison de la non-souscription d’assurance à l’ouverture du chantier ».
Ce faisant, la Cour de cassation qualifie le lien causal entre attestation imparfaite sur le plan formel et inachèvement des travaux. Restera à la cour de renvoi à connaître de la hauteur de la chance perdue.
On le voit, un simple document à but probatoire, portant une présomption réfragable, peut, lorsqu’il est mal rédigé, entraîner des conséquences lourdes qu’une simple phrase aurait évitées. De l’intérêt de surveiller les détails quand on rédige une simple attestation.