Mardi 28 avril 2020
Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur
En sanctionnant en date du 11 mars 2020 Generali vie d’un blâme et d’une sanction pécuniaire de 10 M€, l’ACPR a tenu à rappeler que son pouvoir de contrôle et de sanction n’est limité à aucun domaine particulier. Toutefois, la lecture de la décision laisse entrevoir des divergences d’interprétation du Code des assurances entre le gendarme de l’assurance et la Cour de cassation.
Le praticien de l’assurance, tel la Pythie, oracle du temple d’Apollon à Delphes, sait que l’étude des décisions rendues par l’ACPR reste un excellent moyen de prévention des risques et qu’il est possible, en examinant les décisions rendues par la Commission des sanctions de déduire la politique disciplinaire du régulateur et, par un raisonnement à rebours, d’anticiper le risque que prennent les compagnies et intermédiaires dans leur domaine particulier.
Ainsi, l’année 2019 aura majoritairement été consacrée à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (décisions n° 2017-10 du 10 janvier 2019, n° 2018-05 du 8 avril 2019, n° 2018-03 du 2 juillet 2019 ou encore n° 2018-08 du 24 septembre 2019), et au démarchage téléphonique dans la distribution d’assurances à distance (n° 2018-02 du 15 mai 2019).
C’est donc avec une relative surprise que l’ACPR prend parfois le marché à contre-pied, rappelant que son pouvoir de contrôle et de sanction n’est limité à aucun domaine particulier, ce qu’elle vient de faire aux termes d’une décision frappant un assureur vie, Generali vie, suivant décision du 11 mars 2020 (n° 2019-03) d’un blâme et d’une sanction pécuniaire de 10 M€, compte tenu des « éléments d’atténuation » (sic) retenus en faveur de l’assureur.
Retenons que nous parlerons ici des textes spécifiques du droit de l’assurance vie qui obéissent au régime légal et réglementaire du Code des assurances, aussi inconscient que permanent, qui veut que plus il y a de règles, plus le consommateur est juridiquement informé et à même d’arbitrer en toute liberté ses droits.
Rappelons également qu’il est toujours enseigné aux étudiants en assurance que le contrat d’assurance est un contrat par nature consensuel et non formel « qui se forme par le seul échange des volontés » (Paris, 10 avril 1994, Jurisdata n° 1994-023960), ce qui est juridiquement exact, mais pratiquement faux quand on examine le simple poids d’une police en assurance vie avec toutes ses annexes, définition des UC, notices et note d’information…
C’est ainsi qu’un des assureurs les plus importants du marché, dans des circonstances particulières datant de près de dix-sept années, et malgré ses efforts, va être sanctionné assez durement par l’ACPR malgré les « éléments d’atténuation » retenus.
Analyse de la décision de l’ACPR
Si l’on examine les griefs, avant d’en tirer des enseignements, cinq ont été retenus par l’autorité de poursuite contre l’assureur, dans le cadre du transfert d’un nombre assez limité de contrats très anciens, suite à une fusion datant de 2003, et de transferts de portefeuilles ayant entraîné des migrations informatiques complexes.
Le premier grief concerne le non-respect de la piste d’audit de l’article A.343-1 du Code des Assurances, qui est un ensemble de procédures internes devant être présenté dans les comptes annuels soumis à l’assemblée générale, et qui a vocation, notamment, à reconstituer les opérations dans un ordre chronologique.
Du fait de l’ancienneté de l’opération de fusion, et de la complexité d’intégration de certaines données, il était reproché à l’assureur de ne pas avoir conservé l’ensemble des données lui permettant d’établir la piste d’audit, étant observé que l’on parlait d’à peine 4,5 % du portefeuille total des contrats d’assurance vie.
Le grief n’était pas totalement contesté, mais l’assureur expliquait qu’il faisait face notamment à des difficultés pratiques liées à l’opération de transfert de 2003 elle-même et à l’écoulement du temps, posant parallèlement la question de la prescription.
Sur ce grief, l’ACPR indiquera que, au vu des circonstances du dossier, il n’y avait « à proprement parler (pas) de rupture de la piste d’audit (mais) plutôt une défaillance du contrôle interne », insuffisance que Generali avait compensée dès l’année 2004, ce qui faisait que le grief était établi, mais devait être apprécié avec pondération.
Premier enseignement de la décision du 11 mars 2020, le rappel utile du périmètre temporel du contrôle de l’ACPR exercé ici dans le cadre de la combinaison des articles L.341-2 du Code des assurances (relatif aux dispositions comptables applicables aux compagnies d’assurance) et de son renvoi à l’article L.123-22 du Code de commerce qui dispose que « les documents comptables et les pièces justificatives sont conservés pendant dix ans ».
Le contrôle ayant débuté le 9 septembre 2016, pour durer plus de deux années, la période de contrôle s’étendait donc aux années 2007 et 2008.
Qui est l’interprète authentique du Code des assurances ?
Deuxième grief, le défaut de respect de modifications contractuelles, sans respect de l’article L.112-3 du Code des assurances qui dispose que « toute addition ou modification au contrat d’assurance primitif doit être constatée par un avenant signé par les parties ».
Il s’agissait de fait d’une erreur dans le cadre d’une campagne d’avenants datant de 2016, et l’assureur avait rétabli dans leurs droits les 2 000 personnes concernées, l’ACPR prenant acte des « mesures correctrices mises en œuvre ». Second enseignement, beaucoup plus problématique, même si le moyen ne semble pas avoir été soulevé par l’assureur : la double lecture du Code des assurances par l’ACPR, et par la Cour de cassation, se confirme, précisément sur la question de la signature des avenants.
Rappelons que déjà, dans la décision ACMN vie, l’ACPR avait rendu le 7 février 2017 une décision (n° 2016-02) prononçant à la fois un blâme et une sanction pécuniaire de 3 M€.
Tout le débat, et il a été nourri en jurisprudence, est de savoir si lorsque l’avenant n’est pas signé au sens de l’article L.112-3 du Code des assurances, la modification est opposable, ou non, à l’assuré.
Même si la jurisprudence a pu sembler fluctuante pendant quelques temps (voir la synthèse éclairante du Professeur Jérôme Kullmann à la RGDA de septembre 2018, page 398), la position juridique dernière de la Cour de cassation sur cette question a été notamment tranchée à la suite d’un arrêt de la 2e chambre civile du 14 juin 2018 (n° 17-10097) où la Cour de cassation a posé que le contrat d’assurance est un contrat consensuel, parfait dès la rencontre des volontés.
En d’autres termes, l’idée simple, mais forte, est de rappeler que puisqu’un contrat d’assurance lui-même peut se former par la seule rencontre des volontés, sa modification peut obéir au même régime juridique. Dès lors, pourvu que la preuve de la remise soit rapportée, l’avenant même non signé peut être parfaitement opposable à l’assuré.
Et c’est là que le bât blesse car dans le cadre de l’affaire soumise à l’ACPR du 7 février 2017, et désormais dans celle du 11 mars 2020, il s’agissait ici encore précisément d’une problématique d’avenant qui n’avait pas été signé, mais qui pouvait – aux yeux de la Cour de cassation – produire des effets juridiques sous réserve de la question de la preuve.
En d’autres termes, et pour reprendre la formule éclairante du Professeur Kullmann : « L’absence de signature de l’avenant constitue (pour l’ACPR) un manquement avéré et prononcer une sanction…. alors que la modification est déclarée opposable à l’assuré, et même ici au tiers lésé » (commentaire sous Civ. 2e du 14 juin 2018, RGDA 2018, p. 398).
Car, en se calant sur une lecture exégétique de l’article L.112-3 du Code des assurances et faute de signature des avenants, l’ACPR sanctionne l’assureur pour avoir manqué à une règle qui, si l’on en suit la Cour de cassation, n’a pas été violée…
Qui doit interpréter le Code des assurances, la Cour de cassation ou l’ACPR ? Nous nous permettrons, pour notre part, de renvoyer aux dispositions de l’article L.411-1 du Code de l’organisation judiciaire qui indique qu’il n’y a « pour toute la République (qu’une) Cour de cassation ».
Troisième grief, articulé en trois moyens, il était reproché à l’assureur de ne pas avoir respecté certaines dispositions contractuelles, et notamment « de ne pas avoir exécuté correctement les engagements contractuels de certains de ses contrats retraite » soit en n’appliquant pas les bons paramètres techniques, soit en prélevant des frais non prévus, soit en ne respectant pas les clauses de revalorisation financière.
Troisième enseignement, la confirmation de la jurisprudence Elite de l’ACPR du 25 novembre 2019 (n° 2019-01) faisant de l’article L.113-5 une sorte de texte général permettant de sanctionner les défauts des assureurs dans la gestion de leurs contrats, ce qui ici encore est une interprétation du texte, dont on rappellera le contenu exact (« lors de la réalisation du risque ou à l’échéance du contrat, l’assureur doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat et ne peut aller au-delà »).
Cette volonté de faire de l’article L.113-5 du Code des assurances un texte général à portée disciplinaire semble aller au-delà de la fonction initiale du texte qui parle de « réalisation du risque » ou « d’échéance » du contrat, et dont on voit bien à quel point cela ne correspond pas à la situation d’inexécution d’obligations contractuelles autant que légales. En clair, un simple rappel à la force obligatoire du contrat aurait suffi.
On ne commentera pas le quatrième grief, qui traitait du non-respect de certaines règles comptables propres aux Perp, pour ne retenir que le cinquième grief, traitant de manquements au devoir de conseil dans le cadre d’opérations de transferts internes de contrats d’assurance retraite.
Il était en fait reproché à l’assureur en infraction aux dispositions de l’article L.132-27-1 du Code des assurances alors applicable, d’avoir proposé à ses clients détenteurs de contrats de retraite supplémentaire le transfert interne, sans incidence fiscale, de leurs droits en cours de constitution vers un autre contrat de retraite, en ne précisant pas suffisamment ni les exigences et besoins exprimés par le souscripteur ou l’adhèrent, ni les raisons qui motivaient le conseil fourni. L’assureur arrivera à démontrer que, pour une partie des dossiers le grief était erroné, et que, de plus, elle avait depuis lors fait évoluer ses procédures.
Le dernier enseignement est général, et conforme à la position de l’ACPR, puisque le régulateur dispose que « si Generali vie souligne qu’elle a déjà fait évoluer ses procédures et pratiques, ces mesures constituent des actions correctrices, postérieures au contrôle et donc sans incidence sur le grief ».
Autrement dit, une compagnie doit être proactive, et le simple fait de reconnaître, même pour partie, la pertinence d’un grief, de collaborer au contrôle et de prendre immédiatement des mesures idoines ne suffit pas à faire disparaître le grief. C’est en fait un gage de bonne volonté qui permettra simplement de limiter le montant de la sanction pécuniaire. C’est en effet le dernier enseignement de la décision du 11 mars 2020.
L’ACPR accepte de tempérer une sanction si la compagnie contrôlée anticipe la régularisation ; en l’espèce Generali vie avait amélioré son dispositif en établissant un « plan d’activité renforcé » auprès de ses assurés doté d’un budget de 24 M€, confiant cette compétence à un département dédié, et elle s’était engagée à compenser certains manquements, ce qui avait été constaté par un cabinet d’audit indépendant en 2019, moyennant le reversement de plus de 5 M€ aux assurés concernés par ces rectifications.
Cette démarche explique, malgré le montant impressionnant de la sanction pécuniaire de 10 M€, que l’ACPR retienne des « éléments d’atténuation » outre le prononcé d’un simple blâme. On le voit, le contrôle de l’ACPR invite à une collaboration du contrôlé, qui bénéficiera d’une forme de clémence qui ne dit pas son nom le jour de la décision.
Un problème majeur subsiste toutefois : quand sera enfin clarifiée la question de la répartition des pouvoirs entre la Cour de cassation et l’ACPR, ou le praticien de l’assurance doit-il apprendre à vivre avec une double lecture du Code des assurances ?
Il commence à y avoir urgence à le savoir.