Article – Quand la Cour de cassation réhabilite la prescription biennale

Mardi 12 mai 2020

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

La prescription biennale de l’article L.114-1 du Code des assurances a mauvaise presse devant la Cour de cassation qui, de façon plus ou moins subtile, invite régulièrement le législateur à modifier ce texte dont elle estime la durée de prescription trop brève pour le consommateur d’assurance. Mais il arrive parfois, comme c’est le cas pour l’arrêt du 5 mars 2020 (n° 18-20383), dans une affaire de garantie catastrophe naturelle, que la juridiction suprême opère un revirement jurisprudentiel. 

En matière de prescription biennale, c’est peu de dire que le moyen doit être utilisé à bon escient par les assureurs, au point qu’on en soit venu à parler de « jurisprudence de provocation » (le mot est du professeur Pélissier), comme ce fut le cas avec le célébrissime arrêt Desmares du 21 juillet 1982 (n° 81-12850),  dont le juridisme précipitera l’avènement de la loi du 5 juillet 1985, dite loi Badinter.

Petit rappel des règles autorisant à faire jouer la prescription biennale, qui vont subir sur plusieurs années un véritable chemin de croix judiciaire, détaillé par Romain Schulz (in RGDA 2017, pages n° 449 et suivantes). D’abord, la Cour de cassation va poser que la sanction de non-respect de l’obligation de l’article R.112-1 est l’inopposabilité de la prescription biennale de l’assureur à l’assuré (Civ. 2e du 2 juin 2005, n° 03-11.871).

Puis, la Cour de cassation posera que l’obligation de « rappeler les dispositions » n’est pas un simple renvoi aux textes mais bien plus une obligation de citation des dispositions elles-mêmes (Civ. 3e du 28 avril 2011, n° 10-16.269).

Enfin, la Cour de cassation ira au-delà même du texte de la loi, en posant que les polices d’assurance devaient non seulement reproduire les dispositions du Code des assurances en matière de prescription, mais également les causes d’interruption de droit commun prévues par le Code civil, au motif que l’article L.114-2 du Code des assurances en fait accessoirement mention (Civ. 2e du 18 avril 2013, n° 12-19.519).

Et pour verrouiller complétement le système, un arrêt de la Cour de cassation du 21 mars 2019 (Civ. 3e, n° 17-28.021) a refusé de substituer la prescription de droit commun de cinq ans de l’article 2224 du Code civil, à une hypothèse où la prescription biennale du Code des assurances, au sens de l’article L.114-1 du Code des assurances, ne pouvait jouer, ce qui de fait amène implicitement mais nécessairement, à poser que quand la prescription biennale propre au Code des assurances n’est pas opposable à l’assuré, l’action de l’assuré est juridiquement imprescriptible. Et ce quel que soit le nombre d’années ou de décennies écoulées…

Comment la Cour de cassation a-t-elle pu alors, dans son arrêt du 5 mars 2020, refuser d’écarter la prescription biennale et rejeter le pourvoi de l’assuré ? Comme souvent c’est une simple négligence de l’assuré dans l’exercice de ses droits qui va ici se payer au prix fort.

Rappelons, pour mémoire, qu’en matière d’assurance catastrophe naturelle, l’article L.125-1 du Code des assurances pose que la garantie est due par l’assureur dont le contrat est en cours durant la période visée par l’arrêté ministériel constatant l’état de catastrophe naturelle. Certes, mais faut-il encore s’entendre sur la période à laquelle on doit rattacher ladite catastrophe…

Les faits

L’hypothèse, classique, est la suivante : le propriétaire d’un atelier, Monsieur X, le vend à une SCI Lyeli le 30 juin 2005. Cette SCI est assurée auprès d’Axa et l’ancien propriétaire auprès de la Maaf. La commune où la vente se déroule a déjà connu un arrêté du 11 janvier 2005, publié le 1er février 2005, ayant reconnu un état de catastrophe naturelle – donc avant la vente – au titre de mouvements de terrains différentiels consécutifs à la sècheresse et la réhydratation des sols entre juillet et septembre 2003.

A la suite d’une procédure de péril imminent engagée en mai 2006 par le maire de la commune, il sera fait injonction à la SCI Lyeli de procéder à des travaux d’étalement. Elle agira alors logiquement et effectuera une déclaration de sinistre auprès de son propre assureur, Axa, le 22 mai 2006, assureur qui déniera sa garantie en rappelant justement qu’elle n’était pas l’assureur du bien pendant la période de sécheresse de 2003.

Se retournant alors vers la Maaf, assureur de l’ancien propriétaire de l’atelier, la SCI Lyeli effectuera une seconde déclaration de sinistre le 28 juin 2006. Celle-ci refusera sa garantie le 15 décembre 2006. Surviendra parallèlement une nouvelle série de mouvements de terrains différentiels sur la commune entre janvier et mars 2006 qui entraîneront un second arrêté du 11 juin 2008, publié le 14 juin 2008.

La SCI Lyeli ayant entre-temps mis en location l’atelier, le locataire se plaindra de la dislocation de certains murs, ce qui amènera la SCI à adresser à Axa une seconde déclaration de sinistre le 5 novembre 2009 puis à assigner le 23 novembre 2009 la succession de l’ancien propriétaire de l’atelier et les deux sociétés Axa et Maaf en garantie.

Un rapport d’expertise judiciaire, rendu le 30 décembre 2013, conclura à l’imputabilité des désordres à la sécheresse de 2003, mais non pas à celle de 2006. Les deux compagnies seront entendues dans leur défense et aux termes de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 mai 2018, la prescription sera déclarée acquise pour la Maaf, la demande contre Axa étant rejetée.

S’agissant de la garantie de la Maaf, la société Lyeli tentera de faire valoir que l’assureur l’avait induit en erreur en 2006, en lui laissant penser qu’il ne pouvait, rapport d‘expertise à l’appui, garantir le sinistre de 2003 qui n’aurait pas été causal avec le préjudice subi par le bâtiment acheté en 2005.

Ce moyen sera rejeté car le fait que la lettre du 15 décembre 2006, où la Maaf refusait sa garantie, soit exacte ou non n’empêchait pas la société Lyeli d’agir ou a minima de préserver ses droits.

L’idée subsidiaire, qui se défendait, de Lyeli était de soutenir qu’il avait fallu attendre le dépôt du rapport d‘expertise du 30 décembre 2013 pour connaître la cause exacte des désordres, ce qui fait qu’à la date de l’assignation, soit le 23 novembre 2009, la prescription n’avait pu jouer.

La négligence de l’entreprise a ouvert la voie à l’application de la prescription biennale

La réponse de la Cour de cassation renverra la société Lyeli à sa propre responsabilité puisque celle-ci « s’était elle-même avisée que la catastrophe naturelle (de 2003) pouvait être à l’origine des désordres au mois d’octobre 2006 », ce qui ressortait d’une « appréciation souveraine » des juges du fond.

Dès lors, en n’agissant pas, alors que la Maaf avait refusé dès le 15 décembre 2006 sa garantie, l’assignation du 23 novembre 2009 était tardive et l’action prescrite depuis le 15 décembre 2008.

La Cour de cassation invite donc l’assuré qui pressent une responsabilité, envisage une potentielle cause technique, ou ici une garantie en cours de validité, à préserver ses droits, voire à les exercer en justice.

Quant à la garantie d’Axa, demandée au nom du principe de la garantie de l’assureur (article L.125-1 du Code des assurances), la Cour de cassation rappellera que, par « motifs adoptés » de la cour de Paris, « la preuve du caractère déterminant de la sécheresse de 2006 dans la survenance des désordres affectant l’immeuble litigieux n’était pas suffisamment établie ».

Dès lors, le pourvoi était voué à l’échec.

Si globalement, la jurisprudence en matière de prescription biennale est favorable aux assurés, on pourra retenir que la seule « provocation » que contient la décision du 5 mars 2020 est de rappeler aux acteurs juridiques que la juridiction suprême n’est pas là pour combler leurs carences et leur incapacité à préserver leurs droits, fussent-ils putatifs.

C’est aussi une autre forme de message à entendre pour les praticiens.

Cass. 5 mars 2020, n° 18-20.383