Interview – Pertes d’exploitation : Axa France condamné à indemniser un restaurateur

Vendredi 22 mai 2020

Interview de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur par Sébastien ACEDO

Le Tribunal de commerce de Paris s’est prononcé sur le refus d’Axa France d’indemniser la perte d’exploitation du restaurateur Stéphane Manigold. Une décision défavorable à l’assureur français qui pourrait faire date.

« C’est une victoire collective », a exprimé avec une vive émotion Stéphane Manigold, président du groupe Eclore à la lecture de la décision du Tribunal de commerce de Paris tombée ce vendredi 22 mai à 16h30. Et elle est lourde de sens. Le tribunal a, en effet, ordonné l’indemnisation du restaurateur au titre des pertes d’exploitations sans dommages subies sur l’un de ses quatre établissements (Le Bistrot d’à côté Flaubert, Maison Rostang, Contraste,Substance) sur une période de deux mois.

Calculées sur la marge brute, les pertes d’exploitation qu’Axa France aura à verser à Stéphane Maniglod se chiffreraient à « environ 70 000 € pour un restaurant et, par extension, à plus d’1 million d’euros sur la période pour l’ensemble de mes établissements », a déclaré le restaurateur lors d’une conférence de presse.

Dans l’ordonnance de référé, à laquelle L’Argus a eu accès, il est précisé qu’Axa France devra verser « à titre de provision 45 000 € à la SAS Maison Rostang » ainsi que « la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ». La justice a également désigné un expert judiciaire pour déterminer précisément le montant de l’indemnisation. La décision du tribunal est d’exécution provisoire.

Axa fera appel de la décision

L’assureur n’aura pas tardé à réagir. Dans une communication, Axa France « prend acte de la décision du juge » et rappelle que « le désaccord sur l’interprétation de la clause perte d’exploitation du contrat de Monsieur Manigold persiste, et fera l’objet d’un débat sur le fond qui n’a pas pu avoir lieu devant le juge des référésNous considérons en effet que les pertes résultant de l’interdiction d’accueillir du public ne sont pas garanties par le contrat examiné. Seul un jugement tranchant le débat sur le fond pourra permettre d’aboutir à une interprétation sereine du contrat »

En conséquence de quoi, Axa confirme qu’il « fera appel de la décision rendue ce jour ».

Un bras de fermé engagé depuis des semaines

Alors que ses établissements sont fermés depuis l’arrêté du 14 mars 2020, le restaurateur avait décidé d’assigner Axa France mi-avril devant le tribunal de commerce de Paris. « Axa se soustrait à ses obligations en refusant d’exécuter la garantie contractuelle couvrant l’indemnisation au titre de mes pertes d’exploitation alors qu’aucune exclusion ne s’applique », avait-il expliqué.

Pour le restaurateur, la distinction entre une mesure de fermeture prise « par les services de police ou d’hygiène ou de sécurité » et « par le ministre des solidarités et de la santé » pour justifier le fait qu’il ne s’agirait pas d’une fermeture administrative « telle que visée (au) contrat » ne tient pas « devant une juridiction ».

Axa avait alors défendu son choix de ne pas indemniser son client : « Nous ne pouvons déroger au principe même de l’assurabilité d’un risque qui repose sur la mutualisation et l’aléa. En ce qui concerne une pandémie, par son caractère systémique et global, elle empêche toute mutualisation puisque l’ensemble de la population est touchée en même temps. De plus quand un gouvernement prend une décision de fermeture d’entreprises, de restaurants, de commerces on ne peut pas parler d’aléa ».

La fermeture administrative est confirmée

Sur le fond, l’ordonnance de référé du 22 mai 2020 semble donner tort aux arguments avancés par Axa. Le tribunal rejette le débat sur le caractère assurable ou non d’une pandémie. « Ce débat pour intéressant qu’il puisse être et sur lequel les avis divergent ne nous concerne pas », indique-t-il. Il considère qu’Axa « ne s’appuie sur aucune disposition légale d’ordre public mentionnant le caractère inassurable d’une conséquence d’une pandémie. Il incombait donc à Axa d’exclure conventionnellement ce risque. Or, ce risque pandémique n’est pas exclu du contrat signé entre les deux parties»

S’agissant de la fermeture administrative, là encore, le tribunal conteste la lecture faite par Axa France sur au moins deux aspects. Le premier au regard du contrat :  « Axa France IARD prétend que l’application de la clause fermeture administrative doit avoir pour fait générateur la réalisation préalable d’un événement garanti au titre de la perte d’exploitation. Cette affirmation n’est étayée par aucune référence contractuelle. (…) Ainsi cette allégation fantaisiste sera écartée », avancent les magistrats. Ni les conditions particulières ni l’intercalaire du courtier Satec ne le mentionnent explicitement, selon le tribunal.

Le second sur l’autorité à l’origine de la fermeture : « Que ce soit le préfet ou le ministre, en droit français, il s’agit dans les deux cas d’une décision administrative et aucune exclusion contractuelle ne vise le ministre. Cette contestation sera donc également écartée comme non sérieuse », peut-on lire dans l’ordonnance.

Un effet boule de neige ?

Cette décision retentissante vient jeter un pavé dans la mare alors que le débat sur la prise en charge des pertes d’exploitation sans dommages des TPE-PME fait rage. Pourrait-elle faire jurisprudence et conduire à l’indemnisation des pertes d’exploitations des quelque 55 000 entreprises du secteur de l’hôtellerie-restauration ? Une hypothèse qui ne fait aucun doute pour Stéphane Manigold. « C’était un contrat souscrit auprès du courtier Satec. Je pense que tous les contrats de ce courtier vont sauver beaucoup d’entreprises et de salariés. Il [Axa] n’aurait pas sortir l’artillerie lourde pour un tel contrat s’il ne se sentait pas menacé. Axa a appelé tous les restaurateurs lundi en proposant 20% de leur chiffre d’affaires hors taxe HT plafonné à 4 mois avec l’impossibilité d’exercer un recours. »

Un risque d’effet domino qu’Axa France relativise de son côté, estimant que la situation du restaurateur ne concerne qu’un « contrat spécifique souscrit par quelques centaines de professionnels de la restauration auprès d’un cabinet de courtage, pour lequel une divergence d’interprétation subsiste donc. »

Au-delà du débat juridique et de l’incertitude que laisse planer cette décision de justice sur nombre de contrats d’assurances en France, les magistrats sont revenus, au fond, à l’essence même du contrat : « Le Tribunal de commerce de Paris vient de rappeler une règle d’évidence, dissimulée dans les discours généralisants : en assurance, il n’y a qu’une seule et unique règle qui vaille, c’est celle du contrat ; Et si le juge est le gardien du contrat d’assurance, il en appliquera toutes les clauses et obligations, voulues ou pas, anticipées ou non », souligne Stéphane Choisez, avocat du cabinet Choisez Associés.