Des limites du pouvoir d’interprétation du juge des référés en droit des assurances

Mardi 27 octobre 2020

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

Sans être révolutionnaire – il n’est d’ailleurs pas publié au Bulletin civil – l’arrêt du 17 septembre 2020 (Civ. 3e n° 19-17.784) rappelle une règle simple, mais qui tend parfois à être ignorée, ou mal comprise des plaideurs : interpréter un contrat d’assurance excède le pouvoir du juge des référés, juge de l’urgence et de l’évidence.

Les faits sont classiques : la société LB 23 ayant entrepris des travaux de rénovation d’une maison d’habitation a confié la réalisation de la charpente à la société EPF, assurée auprès de la société Millennium, représentée en France par la société Leader Underwriting.

Se plaignant, avant réception, d’un défaut d‘ancrage de la charpente soutenant la toiture, la société LB 23 a, après expertise, assigné en référé la société Millennium en paiement d’une provision de 44 714,20 € au titre du coût de réfection des travaux réalisés.

La cour d’appel de Paris, en référé, et au visa de l’article 873 alinéa 2 du Code de procédure civile, accordera le 10 avril 2019 cette provision.

La société Millennium formera alors un pourvoi s’articulant autour de l’idée que le jugé des référés avait tranché une contestation sérieuse sur le périmètre de la garantie (la cour d’appel ayant considéré que le contrat de l’assureur n‘excluait pas le coût des travaux de reprise de l’ouvrage), alors que pour l’assureur ce type de reprise n’entrait non seulement pas dans le périmètre de définition de la garantie, mais de surcroît il existait une clause d’exclusion générale des dommages « engageant la responsabilité des constructeurs en vertu des articles 1792, 1792-2, 1792-3 du Code civil » qui avait vocation à jouer.

Le fait que cette décision émane de la 3e chambre civile, plutôt spécialisée en construction, alors que la 2e chambre civile se dédie surtout aux assurances, ne change rien au regard de la règle de droit habituelle.

Le périmètre de l’interprétation du juge des référés

Pour comprendre le raisonnement, il faut repartir du texte exact de l’article 873 du Code de procédure civile qui dispose que « le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».

Il existe donc un lien juridique direct pour l’assuré ou la victime exerçant l’action directe entre provision et absence de contestation sérieuse.

Mais ce seuil de déclenchement de l’incompétence matérielle du juge des référés est vite atteint, comme le démontre l’arrêt du 5 février 2015 (Civ. 2e n°13-27.780) qui dispose que « l’existence d’une contestation sérieuse sur l’obligation à garantie de l’assureur fait obstacle à l’octroi d’une provision en référé », ce qui est le cas quand le juge des référés accorde une provision au titre d’une garantie « susceptible d’être engagée ».

Car si elle est « susceptible » d’être octroyée, c’est qu’elle ne l’est pas forcément…

Et de même, il existera une contestation sérieuse lorsque l’assuré oppose en référé des conditions générales dont le numéro d’identification est différent de celui des conditions générales visées aux conditions particulières (Civ. 2e du 11 juin 2015 n°14-20.438) ou quand assuré et assureur opposent des conditions générales avec des dates différentes, totalement contradictoires sur leur périmètre de garantie (Civ. 2e du 2 juillet 2015 n°14-21.880).

Il était logique qu’il en soit de même quand il s’agit d’interpréter un contrat d’assurance. En effet, interpréter c’est « l’opération qui consiste à discerner le véritable sens d’un texte obscur » (Vocabulaire Juridique Capitant, 11e éd. 2016, PUF voire « interprétation »).

Il n’y a ici aucun pouvoir judiciaire que s’accorderait le juge de modifier le contrat à sa guise, mais la simple conséquence d’une obscurité du texte du contrat, suivant un principe affirmé depuis un arrêt du 15 avril 1872 (« il n’est pas permis aux juges, lorsque les termes d’une convention sont clairs et précis, de dénaturer les obligations qui en résultent et de modifier les stipulations qu’elles referment » GAJC. n°161).

Cette règle, immuable, a d’ailleurs été codifiée à l’article 1192 du Code civil issu de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016. Le juge n’a donc aucun pouvoir d’interpréter les clauses si le contrat est clair, car il encourrait alors la cassation pour dénaturation du contrat. Mais si le texte est peu clair, voire contradictoire, et doit être interprétée, quel juge sera apte à exercer ce pouvoir ?

Juge du fond : authentique interprète du contrat obscur

La règle traditionnelle est de considérer que face à une ambiguïté, si le juge du fond est obligé d’interpréter le contrat obscur, à peine de déni de justice (Civ. 3e du 16 avril 1970 n° 67-11.170), ce pouvoir échappe au juge des référés qui devra retenir l’existence d’une contestation sérieuse (Com. 23 septembre 2014, n° 13-20.454) et notamment en droit des assurances (Civ. 1re du 31 mars 1998 n° 96-13.781).

C’est pourquoi, dans notre espèce, la cour d’appel a clairement violé l’article 873 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cassation étant prononcée sans renvoi, ce qui met fin – au moins en référé – à l’affaire.

Le texte de l’arrêt du 17 septembre 2020 ne laisse, pour le coup, planer aucune ambiguïté sur l’erreur commise par la cour d’appel de Paris ; « en statuant ainsi, alors que la société Millennium soutenait que la « responsabilité civile exploitation » qui couvrait les dommages corporels, matériels et immatériels extérieurs à l’ouvrage lui-même et susceptibles d’être causés aux tiers par l’assuré à l’occasion de la réalisation de travaux, ne permettait pas de régler le coût des travaux de reprise des défauts de la toiture, la cour d’appel, qui a tranché une contestation sérieuse portant sur l’étendue de la garantie de l’assureur, a violé le texte susvisé ».

C’est donc bien à un renvoi aux principes rigoureux de la matière processuelle qu’invite la Cour de cassation ; si le contrat est clair il doit s’appliquer, s’il est ambigu il s’interprète, mais pas devant le juge des référés.

Reste que, comme toujours en droit, l’évidence n’est jamais aussi simple que ce que l’on croit. Est-ce ainsi à dire que n’importe quel développement juridique sur une clause du contrat permettrait à l’assureur de contester sa garantie, en arguant d’interprétation, ce qui aboutirait immanquablement à ne jamais retenir la compétence du juge des référés en assurances ?

La réponse est évidemment négative et le simple fait d’argumenter n’est pas en soit la preuve d’une ambiguïté du texte, simplement d’un moyen de droit au service de la garantie, fut-elle simple en son principe.

De même, sur le plan de la stratégie judiciaire, si un débat de lecture sur une clause paraît fondé, inutile de persévérer en référé, ce serait du temps perdu en vain.

L’urgence permettra la mise en place de procédures accélérées, mais cette fois-ci au fond, par le biais des assignations à bref délai devant le tribunal de commerce ou encore à jour fixe devant le tribunal judiciaire.

C’est donc à un choix stratégique que doit faire face l’assuré, entouré de ses conseils, l’erreur étant comme toujours de confondre vitesse et précipitation.