Fusion absorption et assurance : quel assureur assigner ?

Mardi 5 janvier 2021

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

Parmi la série d’importants arrêts rendus en droit des assurances le 26 novembre 2020 par la Cour de cassation, celui de la 3chambre civile (n° 19-17.824) interroge le patricien en affirmant sèchement, au visa de l’article 1134 ancien du Code civil « que l’assurance de responsabilité d’une société absorbante n’a pas vocation à garantir » le paiement d’une dette de responsabilité de la société absorbée, au regard du domaine contractuel de la garantie d’assurance.

Promise à une large publicité (P+B+I), la décision questionne par la radicalité que la Cour de cassation a voulu donner à la lettre contractuelle de la police de l’assureur de la société absorbante, police souscrite avant la fusion absorption, sur les règles applicables aux fusions visées dans les articles L.236-1 et L.236-3 du Code de commerce.

Rappelons que, si on synthétise ces règles (cf. Pr. P. Le Cannu in « Droit des Sociétés » 2019 Lextenso n° 1616), les règles légales en matière de fusion, issues de la directive du Conseil 78/855/CEE du 9 octobre 1978, posent les éléments caractéristiques des fusions (comprenant donc les fusions absorptions) :

  • dissolution de la société absorbée, sans liquidation de cette dernière,
  • transmission universelle de patrimoine de l’absorbée à l’absorbante ou à la société nouvelle,
  • l’échange de parts ou d’actions de la société absorbée contre des parts ou actions de la société absorbante ou de la société nouvelle,

Concernant les effets directs de la fusion, l’article L.236-3 du Code de commerce dispose que la fusion « entraîne… la transmission universelle de leur patrimoine (celui de la société absorbée) aux sociétés bénéficiaires (la société absorbante) ».

Usuellement qualifiée de transmission universelle active et passive, ce mécanisme impose l’idée que la société absorbante va « recueillir » les droits et obligations de la société absorbée, poursuivre ses contrats, bref d’une certain façon lui « succéder » aux yeux des tiers.

A noter qu’il est généralement considéré que les contrats passés intuitu personae, c’est-à-dire pris du fait exclusif de la qualité de la partie souscriptrice, n’ont pas vocation à être transférés de façon universelle, la jurisprudence évoquant l’idée que la fusion met fin pour l’avenir aux contrats marqués d’un fort intuitu personae (cf. Pr. A. Benabent in « Droit des Obligations » Lextenso 2019, n° 741, qui évoque notamment les contrats de cautionnement et de mandat).

Mais au-delà de ces contrats, les engagements contractuels mais aussi les dettes contractuelles et délictuelles ont, théoriquement, vocation à être transférés à l’absorbante.

Toutefois, et c’est l’enseignement de l’arrêt du 26 novembre 2020, pour la Cour de cassation, ce n’est pas parce que ce transfert a bien lieu qu’il doit être garanti par l’assureur de responsabilité de l’absorbante…

Reprenons les circonstances, classiques, de l’espèce.

Deux particuliers décident de commander à une société Aixia Méditerranée la fourniture et l’installation dans leur maison d’une pompe à chaleur et d’un ballon thermodynamique. La société Aixia Méditerranée sera ensuite absorbée par la société Aixia France, assurée auprès de Gan. Puis, Aixia France sera placée en liquidation judiciaire.

Parallèlement, les acquéreurs vont financer cet achat via une société Sofemo, devenue Cofidis. Les acquéreurs arguant de pannes survenues au premier semestre 2012, vont alors assigner Aixia Méditerranée, Aixia France représentée es qualité, et le Gan assureur de Aixia France.

Au dernier état du procès, la cour d’appel de Bastia le 27 mars 2019 va déclarer Gan tenu des engagements de Aixia Méditerranée et de leurs conséquences, notamment du fait de la fusion absorption.

L’assureur déposera un pourvoi contre cet arrêt, soutenant qu’il ne devait pas garantir ce sinistre, et fait valoir une clause de sa police, passée avec Aixia France et antérieure à la fusion absorption, qui dispose que « le contrat a pour objet de garantir Aixia France en dehors de toutes autres sociétés filiales ou concessionnaires, quel que soit le statut juridique ».

Sur pourvoi de cet assureur, la Cour de cassation va considérer que Aixia Méditerranée étant à l’origine une de ses filiales, et peu important la fusion absorption et ses effets, cette clause s’opposait à ce que Gan assume une dette de responsabilité de son ancienne filiale.

Articulation délicate

La Cour de cassation a manifestement choisi de privilégier une articulation délicate entre prévision contractuelle et loi d’ordre public, mais il faut avouer que la solution retenue par la juridiction suprême pose difficulté au commentateur.

En effet, dans un premier temps, la Cour de cassation confirme (pourrait-elle d’ailleurs faire autrement ?) que, au visa de l’article L.236-3 du Code de commerce, que « en cas de fusion entre deux sociétés par absorption de l’une par l’autre, la dette de responsabilité de la société absorbée est transmise de plein droit à la société absorbante ».

Sur la question de la transmission de la dette de responsabilité on notera (dans une hypothèse de dissolution d’entreprise) un attendu qui résume cette question dans un arrêt de la chambre commerciale du 11 mars 2020 (n° 18-20.064) qui dispose que par l’effet de la transmission universelle du patrimoine de la société « les créances et dettes nées antérieurement » sont transmises « peu importe qu’elles ne soient pas encore liquides et exigibles ».

En l’espèce, il s‘agissait de savoir si des créances « pas encore liquides et exigibles » se transmettaient également. Même si le mécanisme de cet arrêt est différent de la fusion, il éclaire notre hypothèse, et explique pourquoi la société absorbante va au fond se substituer « de plein droit » à la société absorbée, et assumer en ses lieux et place la dette de responsabilité de son ex-filiale.

Si ce n’est qu’ici, Aixia France étant en liquidation, seule la garantie de Gan avait une valeur économique. Ce qui gêne dans la solution retenue par l’arrêt du 26 novembre 2020 est donc son affirmation de la primauté du contrat, et notamment d‘une clause de la police sur la règle de transmission de la dette de responsabilité à l’absorbante.

Car la clause reproduite dans l’arrêt n’apparaît pas de nature à empêcher la garantie puisqu’elle ne fait qu’exclure les « filiales et concessionnaires », c’est-à-dire une clause niant le principe d’une assurance pour compte implicite.

Or, sur le plan juridique, dès la transmission de la dette de responsabilité, l’assureur aurait dû assumer non pas le dette d’une filiale absorbée, mais la dette propre de la maison mère, absorbante. Et à proprement parler, le contrat, en assumant cette dette de responsabilité, fut-elle originairement de Aixia Méditerranée, garantissait bien une dette désormais « de Aixia France ».

La clause du contrat était formellement respectée, et la garantie théoriquement acquise, puisque la dette de la société absorbée devient la dette de l’absorbante. La question de la non prise en compte de cette dette de responsabilité de Aixia Méditerranée aurait bien plus dû être traitée sous la question de l’aggravation de risque de l’article L.113-2 du Code des assurances. Car il est évident que le risque que présente une société déterminée, et qui permet de fixer la prime d’assurance pour une année déterminée, ne peut être considéré comme équivalent avant et après une fusion absorption qui modifie nécessairement le périmètre du risque susceptible d’être assuré. 

On se retrouve, au final, avec une solution d’espèce dont on comprend la logique économique, mais articulée sur un véhicule juridique contestable.

La cassation demandée et obtenue par Gan étant sans renvoi, on laissera donc des consommateurs assumer seuls, et sans garant solvable, les fautes pour lesquelles leur installateur était notamment assuré.

L’enseignement à tirer de cet arrêt est donc simple : en cas de fusion absorption entre un responsable et une autre société, il convient de mettre en cause tant l’assureur de l’absorbée que de l’absorbante, et laisser la Cour de cassation trancher in fine.

On a connu perspective plus réjouissante, mais le lecture de l’arrêt du 26 novembre 2020 laisse un gout d’inachevé, et de raisonnement trop rapidement rendu, pour s’en réjouir plus que de raison.