Déclaration tardive du sinistre : Dura Lex Sed Lex

Mardi 2 février 2021

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

On ne badine pas avec les dispositions d’ordre public. Tel semble être le principal enseignement de l’arrêt de la Cour de cassation, qui rappelle aux assureurs leurs obligations de respecter le délai conventionnel de déclaration du sinistre.

Certains arrêts peuvent sembler porter en eux une solution d’évidence quand on les lit à tête reposée, une fois le fracas du judiciaire apaisé, ce qui amène la question de savoir pourquoi le sujet a pu monter aussi haut auprès de la Cour de cassation. L’arrêt du 21 janvier 2021 de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (n° 19-13.347, à paraître) appartient à cette catégorie.

Rappelons que l’article L.113-2 4° du Code des assurances dispose que :

« L’assuré est obligé :

4° De donner avis à l’assureur, dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat, de tout sinistre de nature à entraîner la garantie de l’assureur. Ce délai ne peut être inférieur à cinq jours ouvrés. Ce délai minimal est ramené à deux jours ouvrés en cas de vol et à vingt-quatre heures en cas de mortalité du bétail. Les délais ci-dessus peuvent être prolongés d’un commun accord entre les parties contractantes.

Lorsqu’elle est prévue par une clause du contrat, la déchéance pour déclaration tardive au regard des délais prévus au 3° et au 4° ci-dessus ne peut être opposée à l’assuré que si l’assureur établit que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice. Elle ne peut également être opposée dans tous les cas où le retard est dû à un cas fortuit ou de force majeure. Les dispositions mentionnées aux 1°, 3° et 4° ci-dessus ne sont pas applicables aux assurances sur la vie. »

Tout est dit dans ce texte légal, son principe et ses exceptions, les conditions de la déchéance et de la sanction attachée, et même la marge résiduelle laissée à la liberté contractuelle, puisque le texte est qualifié d’ordre public par l’article L.111-2 du Code des assurances. On notera le souci du détail pour la déclaration du sinistre, puisque le législateur va même jusqu’à exiger que les cinq jours soient « ouvrés ».

Au fond, ce texte peut paraître équilibré, puisqu’il oblige l’assuré à être l’acteur de l’indemnisation de son sinistre, tandis qu’il permet à l’assureur de mesurer rapidement l’ampleur du sinistre, d’user d’éventuelles mesures conservatoires et au cas où d’éviter une aggravation de celui-ci, dans l’intérêt des assurés eux-mêmes.

Toute la question est de bien savoir placer le curseur du délai de la déchéance pour que cet objectif louable – ne pas payer des sinistres déclarés trop tardivement au détriment de la collectivité des assurés – ne dérive vers des abus – un délai trop court empêchant pratiquement l’assuré de revendiquer son droit.

Un petit point d’histoire du droit permet de comprendre l’évolution de cette règle, allant de la liberté totale à un environnement légal de plus en plus encadré (voir le résumé de l’évolution de ce texte par M. Asselain sous Civ. 1re du 4 janvier 2014, n° 12-26549, in RGDA 2014, p. 387).

Les clauses de déchéance préexistent à la loi du 13 juillet 1930, qui au vu de leur utilité les validera, rajoutant au passage une condition de forme, en exigeant la rédaction de cette déchéance en caractères « très apparents » suivant un texte figurant toujours dans l’article L.112-4 du Code des assurances.

Mais l’automaticité de la sanction de déchéance amènera le législateur à trouver un contrepoint au jeu de ce type de clause « couperet » en imposant, via la loi du 31 décembre 1989, que l’usage de ce type de clause par l’assureur soit subordonné à la démonstration d’un préjudice.

La jurisprudence, assez rare par ailleurs, applique donc scrupuleusement ce texte et ses conditions, imposant par exemple de façon systématique que les juges du fond vérifient l’existence d’une clause de déchéance, à défaut de quoi la déchéance est inopposable à l’assuré (Civ. 2e du 4 juillet 2019 n° 18-18.444).

C’est pourquoi, dans l’arrêt du 4 juin 2014 (op. cité) la déchéance pour déclaration tardive n’a pu être opposée faute de la démonstration par l’assureur que la tardiveté de la déclaration l’a empêché de « diligenter en temps utile » les mesures de nature à prévenir une aggravation du sinistre, donc faute de démontrer un préjudice.

Mais tel n’était pas le problème posé dans l’espèce commentée, qui interroge en fait les limites de la liberté contractuelle en matière de texte d’ordre public. Les circonstances du litige sont d‘une extrême simplicité.

Les faits

Une EARL Lefranc, producteur notamment d’oignons, est assurée auprès de la société L’Etoile au titre d’une « multirisque récoltes ». Un rapport d’expertise va démontrer que l’assurée avait subi un sinistre climatique en mars 2013 qui, s’il n’avait pas détruit la récolte d’oignons, l’avait endommagé, ce que le cultivateur avait pu savoir avec certitude à la mi-août 2013.

Pourtant, l’EARL tentera de céder, à la rentrée 2013, sa production d’oignons, livraison qui lui sera refusée par son client. L’assuré adressera alors une déclaration de sinistre le 6 novembre 2013, qui sera refusée par l’assureur comme tardive, l’assureur estimant que la déclaration de sinistre aurait dû intervenir mi-août au plus tard, soit près de deux mois et demi plus tôt.

Cette sanction de l’assureur peut se comprendre au vu des circonstances du dossier où c’est seulement après avoir tenté de vendre une marchandise abîmée par un sinistre climatique, et se l’être vu refuser, que l’assuré a pensé à déclarer le sinistre à son assureur.

Seulement voilà, s’il existe bien dans la police de cet agriculteur une clause de déchéance pour déclaration tardive, qui manifestement figurait en caractères très apparents puisque le moyen n’était pas soulevé, la question portait sur le fait de savoir si un délai conventionnel de déclaration de quatre jours dans la police de l’Etoile, et donc contraire au texte légal de l’article L.113-2 4° du Code des assurances (« Ce délai ne peut être inférieur à cinq jours ouvrés »), empêchait le jeu de la clause de déchéance, même dans des circonstances où vraisemblablement la déclaration était tardive.

Car cette durée de cinq jours n’est pas une lubie du législateur (voir Droit des assurances de M. Chagny et L. Perdrix Ed. Lextenso 2018 n° 326 et suivants), mais s’appuie sur une recommandation de la Commission des clauses abusives (n° 85-04, I-14, BOCC du 6 décembre 1985) qui a considéré comme abusive la clause imposant « la déclaration du sinistre dans les cinq jours ».

Car si le texte (d’ordre public) de l’article L.113-2 du Code des assurances laisse une marge à la liberté contractuelle, il ne le fait que dans un seul sens, celui d’une augmentation du délai posant une déclaration tardive (« les délais ci-dessus peuvent être prolongés d’un commun accord entre les parties contractantes »).

Et comme le texte est d’ordre public, la question qui en découlait était logiquement celle de l’inopposabilité de la clause de déchéance à l’assuré, sanction visée par le texte lui-même de l’article L.113-2 4° du Code des assurances (« la déchéance pour déclaration tardive au regard des délais prévus au 3° et au 4° ci-dessus ne peut être opposée à l’assuré »).

Le raisonnement de la Cour de cassation

Le refus de la cour d’appel de Bourges, dans son arrêt du 10 janvier 2019, d’appliquer le texte tenait certainement aux circonstances de fait de l’espèce, car en l’occurrence on était dans une hypothèse où la déclaration était non seulement tardive, mais quasiment malicieuse, puisque c’est uniquement après avoir tenté de vendre sa marchandise que le cultivateur s’était tourné vers son assureur.

Il n’empêche, l’assureur avait – pour filer la métaphore maraichère – lui-même mis le ver dans le fruit contractuel en restreignant une durée légale – même de vingt-quatre heures – de déclaration de sinistre qui ne pouvait être inférieure à cinq jours.

C’est pourquoi la Cour de cassation va casser l’arrêt pour violation de la loi, expliquant que « la clause de déchéance invoquée par l’assureur prévoyait un délai de déclaration inférieur au délai minimal légal de cinq jours ouvrés, ce dont il résulte qu’elle n’était pas opposable à l’assuré ».

« Dura Lex Sed Lex » comme dirait le Jurisconsulte Ulpien. On ne peut toutefois ignorer en fait que, si le délai contractuel avait été de cinq jours, la clause de déchéance aurait vraisemblablement pu jouer.

Et puisqu’il faut toujours terminer sur une note positive, ce type de décision est également, pour les assureurs, une invite à examiner leurs polices dans une logique de conformité et d’amélioration des contrats. Quand, en tant qu’assureur, on pense à rédiger une clause de déchéance, autant pouvoir l’invoquer.