La loi spéciale déroge à la loi générale

Mardi 25 mai 2021

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

Lorsque la loi spéciale déroge à la loi générale, c’est le texte spécial qui va prévaloir. Tel est le principal enseignement de l’arrêt de la Cour de cassation du 6 mai 2021 (Civ. 2e n° 19-25.168).

On sait que la législation « à droit constant » voulue par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a permis l’intégration dans le Code civil de nombreuses avancées jurisprudentielles, à côté de l’incorporation de principes généraux classiques du droit, tel celui qui veut que lorsque la loi spéciale déroge à la loi générale, c’est le texte spécial qui va prévaloir (suivant l’adage latin « speciala generalibus derogant »).

C’est le texte de l’article 1105 du Code civil nouveau qui recueille désormais ce principe en disposant que : « Les contrats, qu’ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l’objet du présent sous-titre. Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d’eux. Les règles générales s’appliquent sous réserve de ces règles particulières. »

La Cour de cassation va participer, dans l’arrêt commenté, à l’évolution de ce débat sous le prisme d’une question portant sur les modes de résiliation applicables à un contrat d’assurance.

Les faits

Les circonstances sont assez originales, puisqu’une dame X avait conclu avec la société Suravenir une police multirisque habitation la garantissant notamment contre le vol. Craignant pour ses objets précieux, Madame X sollicitait son courtier qui, le 6 mai 2015, lui adressait un avenant majorant la garantie vol, qu’elle ne retournera toutefois pas signé. L’assureur décidera alors d’adresser à Madame X, le 25 août 2015, une mise en demeure en lettre recommandée avec accusé de réception, d’avoir à régulariser ce document, et faute de recevoir l’avenant signé, considérera le contrat de son assurée comme résilié le 30 août 2015. On notera le très bref délai imparti à l’assurée, soit à peine quatre jours à compter de la réception de la lettre. Cette lettre reviendra « non réclamée ».

En novembre 2015, Madame X sera victime d’un cambriolage, et se retournant vers son assureur se verra opposer la résiliation antérieure de la police au 30 août 2015. Au dernier état, la cour d’appel d’Aix-en-Provence fera droit le 19 septembre 2019 à la position de l’assureur, refusant la garantie, et entraînant le pourvoi qui va dépasser de loin le cadre du litige originel. Suivant une motivation qui sera reprise in extenso par la Cour de cassation, sous forme d’un attendu de principe, et au double visa des articles L.113-3 et L.113-12 du Code des assurances, Madame X fera valoir que : «  Hormis le cas du défaut de paiement de la prime et sauf autres cas particuliers prévus par la loi, l’assureur n’a de possibilité de résiliation unilatérale de la police d’assurance que dans les conditions déterminées par l’article L.113-12 du Code des assurances. »

Dés lors que la résiliation de Suravenir ne respectait pas les conditions de ces textes, alors la résiliation unilatérale, « justifiée » par le défaut de signature de l’avenant, ne pouvait prospérer.

Le raisonnement de la Cour de cassation

Ce raisonnement sera suivi mot pour mot par la juridiction suprême, qui se contentera d’ajouter une référence supplémentaire à l’article L.113-3 du Code des assurances. La solution est en fait logique et cohérente avec l’architecture fondamentale du Code des assurances, dont une grande majorité est issue de la loi de 1930, et obéit à un principe d’ordre public fort qui irrigue l’article L.111-2 du Code des assurances. Quel intérêt alors d’organiser un régime particulier – et complexe – de résiliation propre au Code des assurances, s’il suffit pour sortir du cadre de recourir au mécanisme de droit commun de la résiliation ?

On ne parle pas ici du pouvoir que les parties conservent, d’un commun accord au sens de l’article 1193 du Code civil de considérer leur police comme résiliée, mais bien du pouvoir de résiliation unilatéral que peut posséder chacun dans cette relation assureur/assuré.

En effet, il n’est guère contestable que le régime de résiliation de la police d’assurance est d’une rare complexité (voir pour le résumé de ces règles, « Droit des Assurances » n° 391 et suivants de M. Chagny et L. Perdrix Edition Lextenso déc. 2018).

Ainsi, s’il existe des facultés communes de résiliation (soit la faculté annuelle de l’article L.113-12 du Code des assurances, la résiliation pour circonstances exceptionnelles de l’article L.113-16 du Code des assurances), de nombreuses facultés de résiliation sont ainsi réservées soit à l’assureur, soit à l’assuré.

Et pour l’assureur, la plus connue est celle de la résiliation pour défaut de paiement de la prime (L.113-3 alinéa 3 du Code des assurances) ou d’omission ou d’inexactitude dans la déclaration du risque (L.113-9 du Code des assurances), la résiliation liée à l’apparition de circonstances nouvelles entraînant une aggravation de risques (L.113-4 du Code des assurances) voire la résiliation après sinistre (R.113-10 alinéa 1er du Code des assurances).

Mais ce luxe de détails dans l’organisation du droit de résiliation en droit des assurances laisse-t-il une place subsidiaire à la résiliation de droit commun ? C’est à une réponse négative qu’invite la Cour de cassation, confirmant que le Code des assurances est bien un droit « spécial » sur lequel il faut s’axer avant de recourir – faite de texte autre – au Code civil.

Le pourvoi contre l’arrêt de la cour d’Aix-en-Provence du 19 septembre 2019 ne pouvait que prospérer favorablement.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la Cour de cassation raisonne de la sorte, faisant totalement prévaloir le droit spécial sur le droit général, ainsi qu’en a décidé un arrêt de la Cour de cassation du 21 mars 2019 (Civ. 3e n° 17-28.021), qui a refusé de substituer la prescription de droit commun de cinq ans de l’article 2224 du Code civil à une hypothèse où la prescription biennale du Code des assurances, au sens de l’article L.114-1 du Code des assurances, ne pouvait jouer, ce qui de fait amène implicitement mais nécessairement à poser que quand la prescription biennale propre au Code des assurances n’est pas opposable à l’assuré, l’action de l’assuré est juridiquement imprescriptible. Et ce peu importe le nombre d’années ou de décennies écoulées…

On voit donc apparaître en filigrane le raisonnement juridique qui devrait prévaloir devant les tribunaux dans chacun des domaines où des dispositions spéciales détaillées du Code des assurances existeront, celles-ci prévaudront sur le droit général.

Attention, cela ne signifie pas que le Code civil n’est plus d’aucune utilité en droit des assurances, simplement qu’il ne sera qu’un appui par défaut, invitant d’abord à regarder le Code des assurances.

De la résiliation d’une simple police multirisque, on en vient donc à mieux appréhender les règles générales de la matière du droit des assurances, et à anticiper les futures décisions de la Cour de cassation.

Du droit comme forme d’art.