Agent général d’assurance et courtage accessoire : un équilibre délicat à respecter

Mardi 8 juin 2021

Article de Maître Stéphane CHOISEZ, Associé fondateur

L’arrêt de cassation du 1er avril 2021 (n° 19-15.687) considère que le fait, pour l’agent général, de ne pas répondre clairement à des demandes d’information émanant de l’assureur sur une activité de courtage accessoire qualifie une faute grave autorisant la rupture du mandat sans préavis.

Les arrêts de la Cour de cassation traitant de la révocation des agents généraux d’assurance sont suffisamment rares pour être remarqués, tel l’arrêt du 1er avril 2021 (n° 19-15.687) qui considère que le fait, pour l’agent général, de ne pas répondre clairement à des demandes d’information émanant de l’assureur sur une activité de courtage accessoire qualifie une faute grave autorisant la rupture du mandat sans préavis.

Bien que non publié au Bulletin, cet arrêt permet de faire un point sur plusieurs questions majeures qui irriguent la matière sur la place de l‘activité accessoire de courtage, la motivation de la rupture du mandat d’agent et la qualification de la faute qui lui est reprochée, et notamment sa gravité.

Les faits

Les faits sont simples, puisqu’un dirigeant d’une société de courtage établie depuis plusieurs années localement va être contacté par Gan, afin qu’il devienne agent général de cette compagnie. Un traité de nomination est donc signé, qui contient diverses obligations classiques, et notamment celle de justifier du volant d’activité issu du courtage accessoire, et plus précisément de communiquer à la demande de la compagnie le volume global des commissions des affaires traitées en courtage et par branche d’activité.

A noter que, puisque le débat va porter sur sa faute grave, l’agent général semble avoir oublié de mentionner clairement dans ses écritures d’appel, en tout cas dans le cadre d’un argumentaire juridique, que les manquements qui lui seront reprochés en 2013 auraient pu l’être les années antérieures, et notamment la première année du mandat d’agent général.

Gan va en effet demander, le 18 avril 2013, à son agent général de justifier du volume global des commissions des affaires traitées en courtage et par branche d’activité, suivi faute de réponse, d’une lettre de relance du 17 juin 2013. Réagissant à cette lettre, l’agent général va transmettre le 26 juin 2013 « un tableau reprenant le volume global des commissions d’affaires traitées en courtage, sans précision complémentaire ».

Estimant cette communication insuffisante, l’assureur va relancer son agent général qui, le 27 décembre 2013, va refuser de transmettre des informations complémentaires, au motif que, gérant minoritaire de l’activité de courtage, il ne pouvait imposer à ses associés de « communiquer les volumes d’affaires, les montants de commissionnements et, encore moins, la liste de leurs clients ».

La compagnie organisera, le 3 avril 2014, une réunion qui ne permettra pas de résoudre le litige. Puis, l’agent général refusera de donner suite aux mises en demeures de Gan, notamment une lettre du 11 juillet 2014, et fera l’objet d’une révocation le 16 décembre 2014 pour faute grave, le privant de son préavis.

Au dernier état au fond, la cour d’appel de Douai, le 8 novembre 2018, déboutera l’agent général de ses demandes indemnitaires, arrêt qui sera confirmé par la décision de rejet de la Cour de cassation du 1er avril 2021. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette décision, certains classiques, d’autres peut-être plus discutables.

Les enseignements de la décision de la Cour de cassation

Tout d‘abord, et plus généralement sur la question du courtage accessoire, la décision n’innove pas en posant que, malgré le mandat d’agence, l’existence d’une activité accessoire de courtage (parfaitement connue ici par l’assureur puisqu’elle préexistait au mandat d’agence) ne pose pas par principe une difficulté, pourvu qu’elle n’aboutisse pas à vider l’activité d’agent général de tout intérêt économique pour l’assureur.

Cette activité accessoire de courtage est d’ailleurs expressément prévue par l’accord FNSAGA FFSA du 16 avril 1996 (article 2 « exclusivité »). En effet, cette pratique, contrairement à ce qu’un raisonnement intuitif laisse imaginer, peut être aussi favorable à l’assureur et mandant, qui peut aussi y voir une opportunité commerciale en permettant par exemple à l’assureur d’adapter sa gamme de produits à des besoins d’assurance exprimés par ses clients potentiels, mais non satisfaits, sans compter une implantation locale rapide par le biais du réseau de clientèle de son nouvel agent général.

Cela impose toutefois et réciproquement que cette activité accessoire soit exercée en pleine transparence, et qu’elle puisse faire l’objet d’un contrôle de la part de l’assureur (sur le sujet global du contrôle de surveillance de l’agent général voir La Distribution d’assurance de J. Moreau, J. Bigot, D. Lange, J-L Respaud, éditions Lextenso décembre 2020, n° 937 notamment).

Mais cette liberté reste encadrée, puisque comme l’a rappelé un arrêt du 2 octobre 2013 (n°12-25.233) le droit à exercer une activité accessoire de courtage, même prévu dans le traité, peut dégénérer en abus de droit autorisant une révocation du mandat. La décision commentée reprend cette idée d’abus, sans l’invoquer, car l’assureur va arguer non pas du rapport de concurrence potentielle mais d’une absence de transparence de l’agent général, caractérisée par la violation d’un engagement contractuel d’information à la charge de l’agent général.

Deuxième rappel utile, sur la motivation de la révocation de l’agent général, cette question est un classique du contentieux des agents généraux, le débat étant en fait tranché par l’usage combiné de textes légaux et réglementaires, des accords conventionnels, mais encore de la jurisprudence.
 
L’article L.540-1 du Code des assurances dispose en effet que : « Le contrat passé entre les entreprises d’assurance et leurs agents généraux, sans détermination de durée, peut toujours cesser par la volonté d’une des parties contractantes. Néanmoins, la résiliation du contrat par la volonté d’un seul des contractants peut donner lieu à des dommages-intérêts qui sont fixés conformément à l’article 1780 du Code civil. Les parties ne peuvent renoncer à l’avance au droit éventuel de demander des dommages-intérêts en vertu des dispositions ci-dessus. »

On notera que cet article ne demande pas de motivation particulière et se contente de faire valoir un droit de résiliation partagé. De plus, s’agissant d’un mandat révocable en théorie ad nutum, on pourrait imaginer que ce type de rupture est discrétionnaire, c’est-à-dire sans obligation de motiver, révocation simplement susceptible d’abus du droit de rompre.

Cette analyse est toutefois battue en brèche par la jurisprudence depuis un arrêt du 1er juillet 1986 (Bull. I n° 186) qui retient l’existence d’un mandat d’intérêt commun entre l’assureur et l’agent général, ce qui impose que la compagnie ne puisse révoquer l’agent « sans cause légitime », ce qui nécessite une matérialisation du grief. En effet, comment qualifier une faute de « grave » si elle n’est même pas exprimée ?

De même, l’accord FNSAGA FFSA du 16 avril 1996 prévoit le principe d’un droit à préavis (article 5) « sauf en cas de force majeure ou de faute grave », ce qui impose tout aussi logiquement que, pour pouvoir être qualifié de grave, le motif de la révocation soit connu. Restait à savoir si ce manquement contractuel de l’agent général autorisait à une rupture qualifiée, ici en faute grave, entrainant l’absence de préavis.

On rappellera que, s’agissant de qualifier une faute, si la Cour de cassation peut débattre de la qualification de la faute grave, il appartient aux juges du fond de la caractériser (Civ. 1er du 26 septembre 2012 n° 11-19.234). En l’espèce, la faute reprochée à l’agent général était-elle suffisamment grave pour le priver de son droit à indemnisation ? L’arrêt traite en effet d’une situation particulière, celle du constat par la compagnie d’une activité quasi inexistante sur le marché des particuliers.

Or, on sait que la simple insuffisance de production de l’agent général ne peut être « en elle-même » une faute grave, ni même d’ailleurs une faute (Civ. 1er du 17 mars 1987, Bull. I n° 94). Toutefois, l’insuffisance de production peut caractériser un cas de révocation non fautif,  ce qui supposera de comparer cette production à une activité moyenne d’agence générale dans des circonstances équivalentes.

Dès lors, la simple insuffisance de production ne permettant pas la rupture en soi du mandat et la révocation de l’agent général, la compagnie a invoqué un autre fondement, celui tiré du non-respect de l’obligation de transparence. Et c’est peut-être sur ce point que l’on pourra apporter une réserve sur l’arrêt critiqué, car l’automaticité de la qualification de « faute grave » n’apparaissait pas acquise.

Rappelons que, dans ce domaine particulier, la faute grave est la faute commise dans l’exercice du mandat d’une gravité suffisante pour rendre impossible la continuation du contrat d’agence sans compromettre les intérêts de la compagnie (Civ. 1re du 14 mars 2000, n° 87-18.321). Or, que la compagnie ait des soupçons quant aux réponses de son agent, et soit mécontente de sa résistance – avérée – à apporter des éclaircissements, et que ces éléments nourrissent une crainte quant à la possible déloyauté de son mandataire est une chose.

Mais de simples soupçons de déloyauté qualifient-ils une « gravité suffisante » pour rompre le traité sans délai ni préavis ? L’agent paraît n’avoir perçu l’enjeu sur le débat sur la qualification de la faute, comme élusive de préavis, qu’au niveau de la Cour de cassation, faisant valoir que les arguments de l‘assureur auraient pu tout aussi bien être développés sur les années précédentes, ce qui rendait la qualification de « faute grave » discutable.

Malheureusement, faute de moyens juridiques sérieusement développés devant la cour d’appel, la Cour de cassation devait se contenter des constatations objectives retenues par la cour de Douai et qui elles qualifiaient la réticence à communiquer du mandataire. On aurait pu imaginer, au moins au niveau de la rupture, une autre solution, moins sévère.

L’exercice du mandat d’agent général exerçant une activité de courtage à titre accessoire reste donc un jeu d’équilibre pas forcement simple à articuler en pratique, et pourtant soumis à des sanctions pouvant être radicales. Autant le savoir quand on exerce ces deux métiers.